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Marco Polo

Marco Polo

Titel: Marco Polo Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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aussi
désordonnée que désespérée, le plus souvent livrée sur un terrain inégal et par
un temps pourri, qui oppose un homme à un autre, chacun ayant oublié, dans sa
rage et sa terreur, tout ce qu’on lui a enseigné sur le combat. Tout homme a un
jour, je suppose, appris comment manier l’épée ou la dague : faites tel
geste pour parer l’attaque de votre adversaire, déplacez-vous ainsi pour
contourner sa garde, faites telle feinte pour l’amener à se découvrir et
profitez-en pour viser les points faibles de sa défense ou les défauts de sa
cuirasse. Peut-être ces règles sont-elles applicables quand deux maîtres
d’armes se tiennent au coude à coude lors d’une joute à l’escrime ou lorsque
deux duellistes se retrouvent face à face dans une prairie. Il en va tout
autrement, croyez-moi, lorsque votre adversaire et vous vous colletez dans une
flaque boueuse, environnés de brouillards denses, et que vous êtes tous deux
sales et suants, les yeux noircis de terre ou si humides que vous pouvez à
peine y voir.
    Je n’essaierai pas de restituer coup par coup notre
lutte : je suis incapable de me souvenir des détails. Je me la remémore
comme un épisode ponctué de grognements indistincts, de halètements, de
contorsions douloureuses, une rossée désespérée (interminable, dans mon
souvenir) au cours de laquelle je n’avais qu’une idée : me rapprocher
suffisamment pour parvenir à lui planter mon couteau dans les chairs, tandis
que lui, pour sa part, ne cherchait qu’à me maintenir à distance suffisante
pour pouvoir faire tournoyer son épée. Nous avions tous deux le corps protégé
d’une armure de cuir, mais celles-ci, différentes, nous procuraient à chacun un
avantage sur l’adversaire. Ma cuirasse de peau souple me permettait de bouger
plus facilement et, partant, de mieux esquiver ses coups. La sienne, faite d’un
cuir bouilli très épais, engonçait son corps comme un tonneau ; elle
limitait sa mobilité, mais constituait une protection efficace contre ma dague
à lame courte. Quand, finalement, par chance plus que par adresse, je réussis à
frapper assez fort et m’aperçus que ma lame avait pénétré sa cuirasse et s’y
était enfoncée profondément, je vis avec horreur que la pointe ne parvenait
qu’à lui piquer légèrement la cage thoracique. L’arme s’y trouvant solidement
coincée, il me tenait à sa merci, car j’avais beau m’accrocher à son manche en
le secouant furieusement, dans un effort désespéré, il restait libre,
désormais, de m’embrocher de son épée.
    Il prit le temps d’émettre un rire cruel, triomphant
par avance du coup fatal qu’il allait me porter, et ce fut son erreur.
Mon poignard m’avait été offert, il y avait longtemps, par une jeune fille romm
dont le nom signifiait « Lame ». Je pressai son manche comme il
convenait et sentis les deux lames extérieures se disjoindre... Je compris que
la troisième, tranchante et acérée, avait jailli de l’intérieur, en voyant les
yeux de mon ennemi s’exorbiter d’une immense surprise. Il fut secoué d’un
hoquet de rage, me montra les dents et resta la bouche grande ouverte. Tandis
que sa main, rejetée derrière lui, lâchait l’épée, il me vomit sur le visage
des torrents de sang et s’écroula sur moi, avant de glisser jusqu’au sol. Je
retirai d’un coup sec mon couteau de sa poitrine, l’essuyai soigneusement et le
refermai, puis je me relevai, traversé de cette seule pensée : j’avais tué
à présent deux hommes dans ma vie. Sans compter bien sûr les jumelles de
Khanbalik. Devais-je aussi me créditer de la victoire remportée ici et ajouter
à mon total quelque cent mille victimes supplémentaires ? Le khan Kubilaï
pourrait être fier de moi ; je m’étais taillé sur cette terre surpeuplée
une place suffisante pour y vivre.

 
19
    Mes compagnons, je le constatai quand je les eus
localisés et rejoints, avaient eux aussi croisé dans le brouillard des ennemis
déterminés à se venger. Mais ils ne s’en étaient pas tous tirés aussi bien que
moi. Ils se trouvaient rassemblés auprès de deux silhouettes étendues sur le
sol, et Bayan fit tournoyer son épée à mon approche.
    — Ah, c’est vous, Polo ! fit-il d’un air
soulagé, m’ayant reconnu bien que je fusse couvert de sang.
    — Il semble que vous en ayez rencontré un
aussi... et que vous l’ayez expédié. Vous êtes un brave. Celui-ci aussi
l’était, et jusqu’à la

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