Marco Polo
cachetée,
car lui seul devra la lire, mais je ne vous cacherai pas que j’y loue hautement
vos services, jusqu’à sous-entendre que vous méritez plus d’éloges que moi. Je
vais dès à présent envoyer sur votre route deux éclaireurs afin de préparer
votre passage. Et vous aurez pour demain matin deux cavaliers d’escorte et les
meilleurs chevaux.
Ce fut donc tout ce que je vis du Yunnan, et ma seule
expérience de la guerre terrestre ; je ne participai à aucun pillage et
n’eus pas l’occasion d’affiner mon jugement sur les femmes Yi. Mais ceux qui
avaient assisté aux tout débuts de ma brève carrière militaire, et qui, bien
sûr, y avaient survécu, semblaient penser que je ne m’en étais pas si mal
sorti. Et puis n’avais-je pas chevauché avec la Horde mongole ? Cela me
ferait un sacré souvenir à raconter à mes petits-enfants, si j’en avais un
jour. Je retournai vers Khanbalik tel un vétéran des campagnes militaires,
aguerri et blanchi sous le harnais.
XAN-DU
20
Ce fut une autre longue chevauchée, et je ne traînai
pas en route. Mais alors que nous étions encore à environ deux cents li au
sud-ouest de Khanbalik, nous fumes arrêtés à un carrefour par nos éclaireurs
qui nous attendaient. Ils s’étaient déjà rendus à la capitale et en revenaient
pour nous informer que le khan n’y résidait plus pour quelque temps. C’était la
saison de la chasse, durant laquelle il s’en allait dans son palais de campagne
à Xan-du, et les cavaliers se proposaient de nous y conduire. Un homme les
accompagnait, si richement vêtu dans le style des marchands arabes que je le
pris à tort, dans un premier temps, pour un courtisan à barbe grise que je
n’avais pas encore rencontré. Après avoir sagement attendu que les éclaireurs
me délivrent leur message, il me dit avec une joie non contenue :
— Ancien maître Marco ! C’est moi !
— Narine ! m’exclamai-je, surpris du plaisir
que j’avais de le revoir. Euh, je veux dire... Ali Baba ! Que c’est bon de
te retrouver ! Mais que fais-tu là, si loin des commodités de la
ville ?
— Je suis venu à votre rencontre, ancien maître.
Dès que ces hommes ont évoqué votre retour imminent, je me suis joint à eux. On
m’a chargé d’une missive qui vous est personnellement adressée, et cela m’a
semblé un bon prétexte pour me mettre en congé momentané de mon travail et de
mes responsabilités ordinaires. J’ai pensé aussi que vous pourriez avoir besoin
des services de votre ancien esclave.
— C’est délicat de ta part. Eh bien soit !
Joins-toi à moi, et prenons quelques vacances ensemble.
Nos éclaireurs et mes deux cavaliers d’escorte mongols
ouvrirent la route, Ali et moi les suivant à distance, chevauchant côte à côte.
Nous prîmes une route au nord de celle que nous avions suivie jusqu’alors,
Xan-du étant située dans les montagnes de Da Ma Qing, assez loin au nord de
Khanbalik. Ali fouilla sous son aba brodé et en tira une missive pliée et
scellée. Mon nom était écrit dessus en lettres romaines, ainsi qu’en arabe, en
mongol et en caractères han.
— Celui-là voulait être vraiment sûr de parvenir
à me contacter, marmonnai-je. De qui cela vient-il ?
— Je l’ignore, ancien maître.
— Nous sommes deux hommes libres, maintenant,
Ali. Tu pourrais m’appeler Marco.
— Comme vous voudrez, Marco. La dame qui m’a
remis cette lettre était soigneusement voilée, et elle m’a accosté en privé, à
la nuit tombante. Elle n’a pas soufflé mot, et moi non plus, l’ayant prise
pour, enfin... pour une quelconque amie à vous, peut-être déjà mariée. Vous le
voyez, je suis beaucoup moins curieux et plus discret que naguère.
— À ce que je vois, tu n’en as pas perdu pour
autant ton imagination. Jamais je n’ai entretenu d’intrigue au palais. Mais je
te remercie, fis-je, rangeant le papier pour le lire au cours de la soirée. Et
alors, que deviens-tu, mon vieux compagnon ? Tu as l’air superbe,
dis-moi !
— Oui, hein ? acquiesça-t-il en se
rengorgeant. Ma bonne épouse Mar-Janah insiste pour que je m’habille désormais
comme le propriétaire influent et le digne employeur que je suis devenu.
— Vraiment ? Propriétaire de quoi ? Qui
emploies-tu ?
— Vous vous souvenez, Marco, de la ville de
Kachan, en Perse ?
— Ah, oui. La ville des jolis garçons. Mais je
serais bien surpris que Mar-Janah t’ait laissé ouvrir
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