Marco Polo
comprendre.
Aussi, lorsque la jeune Mongole finit par arriver et se présenta sous le nom de
Jehol, je lâchai, agacé :
— Pardonnez-moi cette peu virile agitation,
Jehol, mais je trouve assez dérangeant que la même personne doive assister à
deux reprises à mes activités nocturnes.
— Ne vous inquiétez pas pour la lon-gya, répliqua
Jehol d’un ton d’indifférence. Ce n’est qu’une esclave du bas peuple Min, une
ethnie de la province de Fu-kien.
— Vraiment ? fis-je, intéressé par ce
détail. C’est donc une Min ? Peu m’importe, quoi qu’il en soit, je n’ai
pas envie que mes performances puissent être comparées en termes, que
sais-je... d’efficacité, de lubricité ou de quoi que ce soit d’autre !
Jehol se contenta de rire et m’assura :
— Elle ne fera aucune comparaison, pas plus ici
qu’au quartier des concubines. Elle en est incapable.
Grâce au concours de la jeune esclave, ma partenaire
avait été suffisamment déshabillée pour que, à ce stade de la conversation, je
perde toute envie de me préoccuper d’autre chose. Aussi accordai-je simplement :
— Bon... si vous n’y attachez aucune
d’importance, je ne vois pas pourquoi je le ferais.
Et la nuit se passa comme la précédente.
Mais lorsque, la nuit suivante, la nouvelle jeune
fille prénommée Yesukai, se présenta précédée de la même esclave Min toujours
porteuse de son encensoir blanc, j’élevai une nouvelle fois des objections.
Yesukai haussa les épaules et m’expliqua :
— Lorsque nous étions au palais de Khanbalik,
nous disposions d’une pléthore de serviteurs, demoiselles de compagnie et
esclaves. Mais dès que la Dame Patronnesse nous a envoyées ici, à Xan-du, pour
la saison de la chasse, notre domesticité a été réduite, et cette esclave était
la seule lon-gya. Si nous autres filles devons composer avec elle, il
faut bien que vous vous en accommodiez aussi.
— J’admets volontiers qu’elle semble détachée de
ce qui se passe dans cette chambre, grommelai-je. Mais si je n’ai fait
jusqu’ici que me tourmenter des indiscrétions qu’elle pourrait laisser filtrer,
je redoute à présent qu’au terme de tant de nuits elle ne se mette à en
rire : là, je n’apprécierais guère !
— Elle ne peut pas rire, m’assura Cheren, la
jeune fille suivante. Pas plus qu’elle ne peut parler ou entendre. Cette
esclave est une lon-gya. Vous ne connaissez donc pas ce mot ? Elle
est sourde et muette.
— C’est donc cela ! murmurai-je, regardant
désormais l’esclave avec une compassion nouvelle. Pas étonnant qu’elle ne m’ait
jamais répondu lorsque je lui faisais des reproches. J’avais toujours cru que
« lon-gya » était son nom...
— Si elle a jamais eu un nom, elle serait bien
incapable de nous le dire, déclara Toghon, la jeune Mongole qui vint ensuite.
Au quartier des concubines, nous l’appelons Hui-sheng. Mais c’est juste malice
de notre part, quand nous nous amusons un peu à ses dépens.
— Hui-sheng, répétai-je. Quelle malice y a-t-il
dans ce nom ? Il me semble des plus mélodieux...
— Difficile pourtant de trouver plus inadapté à
son cas, puisqu’il signifie « Écho », fit remarquer Devlet, la vierge
suivante. Mais aucune importance : elle n’entend pas et ne peut nous
répondre.
— Un écho muet, en quelque sorte, fis-je en
souriant. Ce nom ne lui sied peut-être pas, mais le paradoxe est plaisant.
Hui-sheng, Hui-sheng. ...
Lorsque j’eus affaire à Ayuka, septième ou huitième de
la liste, je lui demandai :
— Dites-moi, votre Dame Patronnesse
cherche-t-elle délibérément des esclaves sourdes et muettes pour s’acquitter de
cette tâche d’inspection ?
— Elle n’a pas à les chercher. Elle les réduit à
cet état dès leur jeunesse. Elles seront désormais définitivement incapables de
bavarder ou de laisser traîner les oreilles où il ne faut pas. Quand bien même
elles assisteraient dans la chambre nuptiale à des pratiques étranges, jamais
elles ne laisseront échapper le moindre hoquet de surprise ou de
désapprobation, ni ne déblatéreront au sujet de perversités auxquelles elles
auraient pu assister. Et si elles se conduisent mal et doivent être battues,
elles ne crieront pas.
— Bruto barabào ! Vous voulez dire qu’on les met dans cet état ? Mais comment
s’y prend-on ?
— La Dame Patronnesse s’adresse pour cela,
semble-t-il, à un chaman spécialisé dans cette
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