Marco Polo
je décidai de me retirer dans mes appartements.
Mais il était évident que Kubilaï avait déjà donné ses ordres. J’avais à peine
gagné mon lit et n’avais pas encore eu le temps d’éteindre la lampe de chevet
que j’entendis gratter à ma porte et qu’une jeune femme entra, portant ce qui
ressemblait à un petit coffre blanc.
— Sain bina, sain nai, fis-je poliment.
Mais elle n’émit aucune réponse, et, lorsqu’elle
pénétra dans la lumière, je constatai que ce n’était pas une Mongole, mais une
Han ou une personne d’une ethnie proche.
Ce n’était sans doute qu’une servante venue préparer
l’entrée de sa maîtresse, car je reconnus dans ce que j’avais pris pour un
coffre un brûleur d’encens. Je me pris à espérer que la dame serait aussi jolie
et délicate que cette jeune personne. Elle posa l’encensoir au pied de mon
lit : c’était une boîte en porcelaine munie d’un couvercle, incrustée de
pierres précieuses et ornée de dessins en relief au tracé alambiqué. Elle se
saisit ensuite de ma lampe, souriant timidement en quête silencieuse de ma
permission et, quand j’eus acquiescé d’un signe de tête, alluma sur sa flamme
son bâton d’encens, souleva le couvercle de l’encensoir et y installa la
baguette fumante. Je remarquai qu’il s’agissait du tsan-xi-jang pourpre,
le meilleur encens. Fait d’un mélange d’herbes aromatiques, de musc et de
poussière d’or, il ne délivrait pas de parfum lourd, mais l’effluve discret des
champs d’été. La servante se laissa tomber à genoux au pied de mon lit et
demeura silencieuse ainsi, tandis que le parfum aux vertus relaxantes
imprégnait la chambre. Mais il ne suffit pourtant pas à me calmer ; je me
sentais aussi nerveux qu’un jeune marié. J’essayai d’engager la conversation
avec la jeune domestique, mais soit elle était habituée à demeurer
imperturbable, soit elle ne parlait pas un mot de mongol, car elle ne leva même
pas les yeux. Finalement, un nouveau grattement à la porte se fit entendre, et
sa maîtresse entra. Je fus très heureux de constater qu’elle était fort jolie –
ce qui est exceptionnel, chez une Mongole –, même si elle n’avait pas la
finesse ni le teint de porcelaine de sa suivante.
Je répétai en mongol la formule qui signifiait
« C’est une agréable rencontre, belle femme », elle me répondit d’un
murmure : « Sain bina, sain urbek. »
— Approche ! Et ne m’appelle pas frère,
fis-je, secoué d’un petit rire.
— C’est la salutation d’usage.
— Eh bien, soit, mais alors, tâche au moins de ne
pas m’envisager comme un frère...
Nous continuâmes ainsi à échanger quelques mots d’un
ton badin (bien peu, en fait, et d’une rare ineptie), tandis que sa femme de
chambre l’aidait à ôter un à un ses somptueux bijoux. Je me présentai, et, dès
que je l’eus fait, elle me répondit dans une cascade de mots qu’elle s’appelait
Setsen, qu’elle appartenait à la tribu mongole des Kerait et qu’elle était
chrétienne nestorienne, tous les membres de sa tribu ayant été convertis, il y
avait fort longtemps, par un évêque nestorien ambulant. Elle n’avait jamais mis
les pieds en dehors du village sans nom qu’elle habitait, dans la lointaine
région de Tannu-Tuva réputée pour ses fourrures. C’est là qu’elle avait été
choisie comme concubine avant d’être acheminée vers une ville commerçante du
nom d’Urga où, à sa grande surprise et pour son plaisir, le wang de la
province lui avait décerné vingt-quatre carats et l’avait par conséquent
dirigée au sud, vers Khanbalik. Aussi, ajouta-t-elle, elle n’avait encore
jamais posé les yeux sur un Ferenghi, et, si je voulais bien excuser son
impudence, mes cheveux et ma barbe étaient-ils naturellement de cette couleur
pâle ou l’âge les avait-il simplement rendus gris ? J’expliquai à Setsen
que, n’étant guère plus âgé qu’elle, je n’étais pas encore sénile, comme elle
dut s’en rendre compte à la croissante excitation que je manifestais face à la
progression de son effeuillage. Je lui offrirais d’ailleurs d’autres preuves de
ma vigueur juvénile, lui promis-je, dès que sa suivante aurait quitté la pièce.
Pourtant, cette dernière, après avoir entièrement déshabillé sa maîtresse et
l’avoir installée à mes côtés, se laissa de nouveau couler près de mon lit
comme si elle avait l’intention de rester là, sans même songer à
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