Marco Polo
éteindre la
lumière. La conversation qui suivit entre Setsen et moi ne fut plus seulement
inepte, elle en devint ridicule.
— Vous pourriez peut-être congédier votre
servante, fis-je observer.
— La lon-gya n’est pas une servante. C’est
une esclave.
— Peu importe. Il faudrait qu’elle s’en aille.
— Elle a reçu l’ordre d’assister à mon qing-du
chu-kai ; en d’autres termes, à ma défloration.
— Soit. Je mets un terme à cet ordre.
— Vous ne pouvez pas, seigneur Marco. Elle est à
mon service.
— Je m’en fiche, Setsen, et quand bien même elle
serait ton évêque nestorien... je préfère qu’elle aille poursuivre son service
dehors.
— Je ne puis la renvoyer, et vous n’en avez pas
le droit non plus. Elle est ici sur ordre du Procureur de la Cour et de la Dame
Patronnesse des Concubines.
— Je prime sur tous ces hauts personnages. Je
suis ici, moi, sur ordre du khan de tous les khans !
Setsen parut blessée.
— Je pensais que vous étiez là parce que vous me
désiriez.
— Oui, aussi, évidemment..., bredouillai-je,
contrit. Mais je ne souhaite pas avoir de public pour applaudir mes exploits.
— Elle n’applaudira pas ! C’est une lon-gya. Elle ne prononcera pas un mot.
— Perdizibn ! Elle
peut bien se mettre à chanter un inno imeneo si elle veut, du moment
qu’elle va le faire ailleurs qu’ici.
— Qu’est-ce donc ?
— Un chant de fiançailles. Un hymne à l’hymen. Il
célèbre le... eh bien, la rupture du... enfin, la défloration.
— Mais c’est exactement ce pour quoi elle est là,
seigneur Marco !
— Quoi ? Pour chanter ?
— Non, non, pour faire office de témoin. Elle
partira dès que vous... dès qu’elle verra du sang sur le drap. Elle pourra
alors rapporter à la Dame Patronnesse que tout s’est passé convenablement. Vous
comprenez ?
— Je vois, oui. Le protocole. Vakh !
Je jetai un coup d’œil en coin à la jeune fille,
laquelle, absorbée dans la contemplation des circonvolutions de la fumée qui
montait de l’encensoir, ne semblait prêter aucune attention à notre
chamaillerie. Je fus heureux de ne pas être un jeune marié, car les
circonstances auraient sans doute limité mes performances à ma vantardise
préliminaire. Mais enfin, dans la mesure où je n’étais qu’un jeune époux de
substitution et que ni la servante ni la maîtresse ne semblaient trouver cette
situation embarrassante, pourquoi aurais-je dû ressentir une quelconque
inhibition ? Je me mis donc en devoir de produire la preuve qu’attendait
l’esclave, et Setsen, bien qu’inexpérimentée, coopéra de son mieux ;
durant ces laborieux exercices, pour autant que j’aie pu remarquer, l’esclave
ne me prêta pas plus d’attention que si j’avais été moi-même aussi inerte qu’un
encensoir. Au bout d’un moment cependant, Setsen étendit le bras hors du lit et
secoua la jeune fille par l’épaule ; celle-ci se leva, aida Setsen à
démêler les draps, et toutes deux virent la petite tache rouge qu’elles
recherchaient. L’esclave hocha la tête et nous adressa un éclatant sourire,
puis elle se pencha, éteignit la lumière et nous laissa libres de toutes les
activités non obligatoires auxquelles il nous plairait de nous adonner.
Setsen me quitta au petit matin, et je rejoignis le
khan et ses courtisans pour une journée de chasse au faucon. Ali Baba nous
accompagna après que je lui eus donné l’assurance que la fauconnerie ne présentait
pas pour le chasseur les mêmes dangers que d’autres types de vénerie plus
exigeants ; par exemple, la mise à mort au poignard de sangliers. Nous
levâmes du gibier en quantité ce jour-là. Comme nos faucons aux yeux perçants
étaient capables de veiller, de plonger et de frapper jusqu’au crépuscule, tout
le groupe passa la nuit dans le palais de bambou. Nous ne ralliâmes Xan-du que
le lendemain, munis d’une abondante quantité d’oiseaux et de lièvres. Ce
soir-là, après un bon dîner de venaison, je fus gratifié de la seconde
contribution de Kubilaï à l’amélioration de la race mongole.
Curieusement, elle était précédée de la même jolie
petite esclave porteuse de l’encensoir en porcelaine blanche. Dès que je le
remarquai, je tentai de lui faire comprendre combien j’étais mécontent qu’elle
assiste à deux nuits nuptiales consécutives. Elle se borna à me répondre
d’un sourire charmeur, et soit ne me comprit pas, soit refusa de me
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