Marco Polo
réduction au silence, m’avoua
Merghus, la huitième ou neuvième jeune Mongole. Il lui enfonce une broche
chauffée au rouge dans chaque oreille, et aussi à travers le cou, jusque dans
le gosier. J’ignore au juste comment il s’y prend, mais là, regardez
Hui-sheng... vous voyez sa minuscule cicatrice à la gorge ?
Je regardai et la repérai, en effet. Mais, en me
penchant sur elle, j’en découvris bien plus. Kubilaï avait raison lorsqu’il
disait que les filles Min étaient d’une inégalable beauté. Celle-là, en tout
cas, ne dérogeait pas à la règle. Étant une esclave, elle n’avait pas le teint
poudré de blanc des autres, ni les longues tresses élaborées de ses maîtresses
mongoles. Le teint de pêche de sa peau était naturel, et sa chevelure était
bouclée. Excepté la cicatrice en forme de croissant sur sa gorge, elle ne
portait aucune flétrissure, ce qui n’était pas le cas des nobles jeunes femmes
qu’elle servait. Ces dernières, en effet, élevées au grand air, avaient vécu
dans de rudes conditions, parmi les chevaux, et de multiples entailles ou des
marques d’abrasion gâtaient parfois même les endroits les plus intimes de leur
chair.
Hui-sheng était à cet instant assise dans la position
la plus gracieuse et la plus attachante que puisse prendre une femme sans en
avoir conscience. Complètement détachée de l’idée qu’on pouvait la regarder,
elle était occupée à fixer une fleur dans ses cheveux noirs. Sa main gauche
tenait cette fleur rose devant son oreille gauche, pendant que la droite,
formant une arche au-dessus de sa tête, aidait à la manœuvre. Ce placement bien
particulier de la tête, des bras, des mains et du torse faisait de n’importe
quelle femme, qu’elle soit habillée ou dénudée, un poème de courbes et d’angles
arrondis, la tête penchée d’un côté, les bras l’encadrant avec délicatesse, la
ligne du cou allant finement se rattacher à celle de la poitrine, les seins
doucement soulevés par le mouvement des bras vers le haut... Cette posture
rajeunit les femmes âgées, fait paraître plus souples celles qui ont des
rondeurs, adoucit celles qui ont les traits durs et rend plus belles que jamais
les jolies femmes.
Je me souviens aussi avoir remarqué que Hui-sheng
avait, devant chaque oreille, un très fin duvet de cheveux noirs qui lui
descendaient jusqu’à la ligne de la mâchoire, et un autre filet velouté qui
courait du bas du cou jusque dans son dos. Ces détails me parurent séduisants
et m’amenèrent à me demander si les femmes Min avaient aussi une fourrure
intime abondante. Les jeunes Mongoles, je dois le mentionner, se distinguaient
toutes par un « petit brasero » au pelage doux et lisse comme peut
l’être celui d’un chat. Mais si, de façon pour moi assez inhabituelle, je n’en
ai pas dit beaucoup plus sur leurs charmes ou sur mes nuits de butinage en leur
compagnie, ce n’est pas dû à un soudain accès de réserve de ma part ;
c’est que je me souviens assez peu de ces filles. J’ai même oublié si j’en
avais vu douze, ou onze, ou treize...
Oh, elles étaient jolies, agréables, compétentes dans
leur art, et avaient de quoi satisfaire n’importe quel homme. Mais elles
n’avaient que cela, justement. Je ne les revois que comme une succession
d’événements fugaces, à peine différents d’une nuit sur l’autre. Ma mémoire fut
bien plus profondément impressionnée par la petite, discrète et silencieuse
Écho... et ce n’était pas seulement parce qu’elle était présente chaque
nuit ; non, elle éclipsait simplement, à elle seule, toutes ces jeunes
Mongoles réunies. Si elle ne m’avait pas distrait de la sorte, je suppose que
ces dernières m’auraient sans doute davantage marqué. Ces filles créditées de
vingt-quatre carats constituaient le tout premier choix et représentaient la
fine fleur de la féminité mongole ; en tant que partenaires de lit, on
aurait difficilement pu rêver mieux. Cependant, même alors que je jouissais du
spectacle de leur lent effeuillage par l’esclave lon-gya, je ne pouvais
qu’être frappé de l’exagération, de l’outrance inutile de certaines de leurs
formes, à côté de la si ténue Hui-sheng ; de même, leur teint, comparé à
sa peau fleur de pêcher et à ses traits exquis, me semblait presque rude, et
leur physionomie grossière. Leurs seins eux-mêmes, qu’en d’autres temps
j’aurais trouvés beaux et voluptueux, me
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