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Marco Polo

Marco Polo

Titel: Marco Polo Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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totalité des cent jours de congé octroyés, chacun s’attendait
naturellement à ce que ce délai soit tenu. Aussi ses employés et assistants
patientèrent-ils jusqu’à la fin de cette échéance avant de réintégrer
l’antichambre qui leur servait de bureau, où ils attendirent la sortie
triomphante de leur maître. Lorsque quelques jours de plus se furent écoulés,
ils commencèrent à donner des signes d’impatience, mais n’osèrent faire
irruption dans le saint des saints. Ce n’est qu’au moment où j’envoyai l’une de
mes servantes sur place s’enquérir d’Ali Baba que le chef des clercs s’enhardit
à entrebâiller la porte blindée. La puanteur de charnier qui lui frappa les
narines le fit reculer d’horreur. Personne ne sortit de la pièce, et il fut
impossible à quiconque d’y jeter le moindre coup d’œil sous peine de défaillir.
On dut faire appel à l’Ingénieur du Palais pour qu’il dirige ses flux d’air artificiel
à travers les tunnels du sous-sol. Dès que ceux-ci furent suffisamment assainis
pour que l’odeur soit supportable, le clerc en chef du Caresseur s’aventura à
l’intérieur et ressortit assommé de ce qu’il y avait trouvé.
    Il y avait là trois cadavres, ou tout du moins les
restes de trois corps humains. Celui de l’ex -wali Ahmad n’était plus
qu’un lambeau de chair, ayant à l’évidence enduré au moins une Mort des Neuf
Cent Quatre-vingt-dix-neuf. Pour autant qu’on puisse savoir, Ali Baba avait
assisté à l’intégralité de l’opération, puis il avait maîtrisé et attaché le
Caresseur, et tenté de reproduire sur sa sacro-sainte personne, jusque-là
inviolée, la totalité du processus de la Caresse. Selon le chef des employés,
toutefois, il n’avait pu aller au-delà d’une Mort des Cent ou Deux Cents. On
supposa qu’Ali, indisposé par les miasmes de la décomposition du corps d’Ahmad
et par l’horreur du carnage et des excréments, n’avait pas pu pousser
l’expérience à son terme et avait renoncé. Il avait donc laissé le corps en
partie démembré de maître Ping mourir à petit feu et avait saisi le plus grand
de ses couteaux pour se le plonger dans le cœur, se donnant ainsi la mort.
    Voilà comment Ali Baba, Narine, Sindbad, Aladin, dont
je m’étais moqué comme d’un couard et d’un vantard durant tout le temps que je
l’avais connu, avait accompli sur le tard, poussé par la seule motivation de sa
vie qui lui ait paru digne d’intérêt – son amour pour Mar-Janah –, un acte de
courage pur. Il s’était vengé de deux assassins l’un après l’autre : le
commanditaire et l’auteur du crime, avant de prendre sa propre vie, afin
qu’aucun tiers, pas même moi, ne pût en être blâmé.
    Les habitants du palais, la cité de Khanbalik et sans
doute Kithai tout entier, si ce n’est la totalité de l’Empire mongol,
discutaient encore avec agitation de la brusque chute d’Ahmad. Ce nouveau
scandale souterrain donna bien sûr un regain aux commentaires... et poussa
Kubilaï à me considérer avec une sombre exaspération. Cependant, les toutes
dernières informations contenaient une révélation si macabre et presque si
risible que même le khakhan en oublia tout ressentiment. Ce qui arriva fut que,
lorsque les assistants du Caresseur ramassèrent les parties de son corps pour
lui rendre la dignité nécessaire en vue de son inhumation, ils découvrirent
qu’il avait eu toute sa vie des pieds de lotus, bandés dès l’enfance et
donc aussi tordus que délicats ; comme une jeune fille noble !
L’humeur hostile de ceux qui jusqu’alors ne songeaient qu’à se demander :
« Qui va payer pour cet outrage, à présent ? » se dispersa en
conjectures amusées, et les gens se mirent à gloser sur un mode nettement plus
badin : « Quelle horrible mère a-t-il bien pu avoir, ce pauvre maître
Ping ? »
    Mon
humeur à moi, je dois l’avouer, était moins frivole. Ma vengeance était certes
consommée, mais elle m’avait valu la perte d’un vieux compagnon, et je sentis
une grande mélancolie m’envahir. Poids sur la conscience qui fut loin d’être
allégé par mes visites quasi quotidiennes dans les appartements de Matteo, afin
de me rendre compte de ce qui subsistait de lui. Sa dévouée servante veillait à
ce qu’il restât propre et bien vêtu (avec des vêtements d’homme, s’entend),
peignant avec soin la barbe grise qu’il recommençait à porter désormais. Bien
nourri, en

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