Marco Polo
en
revanche, tu constitues une menace par l’importance que tu pourrais prendre
auprès de lui. Reste sur tes gardes.
— Je te crois, Chingkim, et je te remercie.
Aurais-tu une suggestion à me faire pour ne pas trop apparaître, justement,
comme une cible potentielle ?
— Un cavalier mongol ne chevauche jamais bien en
vue, sur le sommet des collines. Il prend soin d’évoluer un peu plus bas, à
l’abri de la ligne de crête.
Je m’assis et réfléchis à cette recommandation. À cet
instant précis parvint de la porte qui donnait sur le hall une sorte de
grattement, et l’une des servantes se coula à l’extérieur pour aller y
répondre. Je ne parvenais pas à voir comment je pourrais éviter de caracoler en
haut des collines tout en vivant au palais, à moins que je ne demeure en
perpétuelle position de ko-tou. La soubrette revint dans la pièce.
— Maître Marco, il y a là un solliciteur qui a
pour nom Sindbad et qui demande urgemment audience.
— Pardon ? fis-je, préoccupé par les lignes
de crête. Non, désolé, je ne connais aucun Sindbad.
Chingkim me regarda et leva les sourcils, comme pour
me signifier : « Des ennemis, déjà ? »
Soudain, je secouai la tête, et mes idées se remirent
en place. Je réagis alors :
— Oh, bien sûr que je le connais ! Faites-le
entrer.
Narine entra et courut droit vers moi, se tordant les
mains d’un air affolé, les yeux et la narine centrale affreusement dilatés.
Sans ko-tou ni salamalec préalable, il chevrota :
— Par les sept voyages de mon homonyme, maître
Marco, dans quel terrible endroit sommes-nous tombés !
Je levai la main, désireux de l’empêcher de parler
aussi maladroitement que j’avais pu le faire à plusieurs reprises récemment, et
me tournai vers Chingkim pour lui annoncer, dans le même langage :
— Permettez-moi, Votre Altesse royale, de vous
présenter mon esclave, Narine.
— Narine ? murmura Chingkim, éberlué.
Ayant compris mon allusion, Narine s’abaissa dans un
parfait ko-tou, puis m’honora pareillement, avant de prononcer avec
douceur, mais d’un ton suppliant :
— Maître Marco, j’aurais besoin de vous demander
une faveur.
— Tu peux parler en présence du prince, c’est un
ami. Mais pourquoi te fais-tu appeler d’un nom d’emprunt ?
— Je vous ai cherché partout, mon maître, j’ai
utilisé tous mes noms, un différent avec chaque personne que j’ai rencontrée.
J’ai agi ainsi par prudence, maître, dans la mesure où je craignais pour ma
vie.
— Pourquoi ? Qu’as-tu encore fait ?
— Rien, maître ! Je vous le jure ! Je
me conduis même si correctement, depuis un moment, que l’enfer en piaffe de
dépit. Je suis aussi innocent que l’agneau qui vient de naître. Mais c’était
aussi le cas d’Ussu et de Donduk. Maître, je viens vous prier de me sauver de
cette porcherie qu’on appelle la caserne. Laissez-moi vous rejoindre et loger
dans vos appartements. Je m’aplatirai sur le seuil comme un chien de garde. En
mémoire de toutes les fois où je vous ai sauvé la vie, maître Marco, je vous en
conjure, sauvez la mienne, à présent !
— Quoi ? Je ne me souviens pas que tu m’aies
jamais sauvé la vie.
Chingkim semblait fort amusé, et Narine prit un air
confus, ne sachant plus très bien où il en était.
— Ah bon, je ne l’ai jamais fait ? Ce devait
être à un autre maître avant vous, maître. En tout cas, si je ne l’ai pas fait,
c’est parce que l’occasion ne s’en est pas présentée. Mais imaginez que quelque
chose d’horrible se produise, il vaudrait mieux que je sois dans les parages et
à portée directe de vous, afin que...
— Qu’as-tu dit au sujet d’Ussu et de
Donduk ? coupai-je.
— C’est cela qui me fait si peur, maître.
L’effrayant destin d’Ussu et de Donduk. Ils n’avaient rien fait de mal,
n’est-ce pas ? N’ont-ils pas fait que leur travail, en nous escortant
depuis Kachgar, et a-t-on quelque chose à leur reprocher sur la façon dont ils
ont accompli leur tâche ?
Il n’attendit pas la réponse et reprit :
— Ce matin, un escadron de gardes a fait
irruption. Ils ont passé les menottes à Donduk et l’ont emmené sans ménagement.
Ussu et moi-même, certains qu’il s’agissait d’une méprise, avons enquêté en
faisant le tour de la caserne et avons appris que Donduk allait être soumis à
la question. Après avoir déploré un moment la situation, nous avons voulu
en savoir
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