Marco Polo
lubrifiée, je saurais faire en
sorte qu’il ne subsiste aucune preuve de notre faute. Et je suis sûre que ces
barbares de marins ne prêteraient aucune attention à ce que des gens civilisés
comme nous pourraient faire ou ne pas faire dans l’intimité de leurs relations.
Il n’y aurait donc aucune chance pour que quiconque, sur ma terre natale, sache
jamais que nous nous sommes, vous et moi, délectés d’une extatique surata quelque
part sur le doux balancement de la houle océane, sous les rayons caressants de
la lune. Mais nous devrons cesser dès que nous aborderons les rivages de la
terre de mes ancêtres, car les Hindous n’ont pas leur pareil pour détecter la
moindre odeur de scandale, hurler aussitôt à la honte et vous conspuer
méchamment, le tout pour venir ensuite exiger de vous un paiement substantiel
en échange de leur silence, qu’ils s’empresseront d’aller briser en faisant des
gorges chaudes et en cancanant à qui mieux mieux.
Comme elle semblait avoir épuisé son souffle et les
myriades d’aspects du sujet, je lui glissai doucement :
— Merci de vos fort utiles instructions, Tofaa.
Soyez tranquille, je respecterai la bienséance.
— Oh.
— Laissez-moi seulement vous suggérer une chose.
— Ah !
— N’appelez pas les hommes d’équipage
« marins » ; dites plutôt « matelots » ou
« hommes de mer ».
Le sardar Shaibani n’avait pas économisé sa
peine pour nous trouver un bon vaisseau. Plutôt que le traditionnel canot
hindou, il avait choisi un bateau arabe à gréement de voiles latines, un qurqur marchand capable de franchir d’une seule traite le vaste golfe du Bengale
plutôt que de faire des sauts de puces sur son pourtour. L’équipage se
composait de petits hommes noirs, noueux, d’une race appelée Malayu, mais le
capitaine était un pur Arabe, loup de mer aguerri et capable. Se dirigeant vers
Ormuz, à l’ouest de l’Inde, il avait accepté, moyennant finances, de nous
déposer, Tofaa et moi, sur la côte de Coromandel. Cela représentait une
navigation en pleine mer, sans nul contact visuel avec la côte, de quelque
trois mille li, soit environ la moitié de mon plus long voyage à cette
date, celui qui m’avait conduit de Venise jusqu’à Acre. Le capitaine nous
prévint, avant le départ, que le golfe pouvait être un dévoreur de navires. On
ne pouvait le traverser qu’entre septembre et mars (nous étions alors en
octobre), seule saison durant laquelle le vent est bon, et le climat moins
mortellement étouffant. Cependant, il n’était pas rare que, même durant cette
période favorable, alors que le golfe voyait de bons navires se démenant d’est
en ouest sur sa surface, survînt une brutale tempête tai-feng qui les
faisait chavirer, les coulait et les avalait tous.
Mais nous ne rencontrâmes aucune tempête, et le temps
se maintint au beau, excepté une nuit, lorsqu’un brouillard dense obscurcit la
lune et les étoiles, et nous enveloppa de sa laine grise et humide. Cela ne
ralentit pas le qurqur car le capitaine pouvait barrer à l’aiguille de
sa boussole, mais dut être d’un tragique inconfort pour les noirs hommes
d’équipage qui dormaient sur le pont à moitié nus, car le brouillard, condensé
dans la voilure, s’y égouttait en une constante rosée suintante. Les passagers
que nous étions, en revanche, disposaient d’une cabine plutôt agréable, étaient
bien nourris, et nous ne fumes ni attaqués, ni volés, ni même molestés par
l’équipage. En bon musulman, le capitaine professait naturellement un souverain
mépris pour les Hindous, qu’il détestait plus encore que les chrétiens. De ce
fait, il ne recherchait pas particulièrement notre compagnie. Comme il ne
laissait par ailleurs pas un instant de répit à ses matelots, Tofaa et moi en
étions réduits à nos propres distractions. Comme nous n’en avions aucune
(hormis le spectacle des poissons volants à la surface des flots et les ébats
des poissons-porcs parmi les vagues) Tofaa reprit son incessant babil au sujet
des divertissements auxquels il ne fallait surtout pas que nous
succombions.
— Ma stricte mais sage religion, Marco- wallah, stipule combien il est scandaleux à plus d’un titre de coucher ensemble.
Aussi n’y a-t-il pas que la douce surata qu’il vous faille rayer de
votre esprit, pauvre homme frustré. En plus de la surata proprement
dite, en effet – laquelle désigne la consommation effective de l’acte –,
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