Marco Polo
avant leur
première menstruation ?
— Pas seulement mes femmes, Marco -wallab. Toutes les femmes, en
Inde. Tous les parents d’une jeune fille n’ont de cesse que de la marier avant
qu’elle devienne femme et qu’il puisse arriver quoi que ce soit à sa virginité,
ce qui la rendrait impropre au mariage. Pour une autre raison, aussi :
c’est que chaque fois que leur fille a ses règles, les parents se rendent
coupables du crime hideux de laisser mourir un embryon qui pourrait prolonger
leur lignée. Comme on le dit fort bien : si une fille n’est pas mariée à
douze ans, ses ancêtres, dans l’autre monde, boivent tristement le sang qu’elle
perd chaque mois...
— C’est fort bien dit, en effet.
— Toujours est-il, pour en revenir à mes épouses,
qu’elles disposent de tous leurs droits légitimes. Ce qui ne leur donne accès à
aucune prérogative royale pour autant, comme c’est le cas dans certaines
monarchies plus faibles et moins civilisées. Mes épouses n’ont pas leur mot à
dire, ni à ma cour, ni sur mon gouvernement. Comme on le proclame si
judicieusement, quel homme prendrait garde au caquètement de la poule ?
Celle-ci, par exemple, est ma première épouse et ma maharani en titre ;
mais elle n’a jamais espéré s’asseoir sur un trône.
Je m’inclinai poliment devant la dame et
prononçai :
— Votre Altesse...
Elle se contenta de me gratifier du morne regard de
détestation dont elle venait d’honorer son rajah d’époux. Pas découragé pour
autant dans mon intention de rester courtois, j’indiquai la marmaille qui
s’agitait près d’elle et ajoutai :
— Votre Altesse possède quelques jolis petits
princes et princesses. Elle resta silencieuse, mais le rajah grogna :
— Ce ne sont ni des princes, ni des princesses.
N’allez pas donner des idées à cette femme !
Quelque peu interloqué, je m’enquis :
— La lignée royale n’est-elle pas de primogéniture
paternelle ?
— Mon cher Marco -wallah ! Comment puis-je savoir de façon certaine que ces moutards sont les
miens ?
— Eh bien... c’est que... euh..., marmottai-je,
fort embarrassé d’avoir abordé ce sujet en face de la femme et de sa
progéniture.
— Ne craignez rien, Marco -wallah. La maharani sait que je ne l’insulte pas elle en particulier.
J’ignore en fait si j’ai engendré un seul des rejetons de mes épouses.
Je ne puis le savoir ! Vous-même vous ne pourrez le savoir, si
jamais vous vous mariez un jour et avez des enfants. Ceci est un fait, inscrit
dans la vie.
Il engloba du bras toutes les épouses qui occupaient
les pièces que nous parcourions et répéta :
— C’est un fait inscrit dans la vie ! Nul
homme ne peut jamais être sûr et certain qu’il est le père de l’enfant
de sa femme. Même si l’épouse est jolie comme un cœur et semble d’une fidélité
à toute épreuve ! Même si elle est si repoussante qu’un paria la
fuirait ! Même si, infirme, elle ne pouvait quitter la maison. Une femme,
retenez bien cela, peut toujours trouver un subterfuge, un amant et un coin
sombre.
— Mais, Majesté, les toutes petites filles que
vous avez épousées avant même qu’elles puissent être fécondées...
— Et alors ? Qui sait, même dans ce
cas ? Je ne puis pas être sur place à l’instant de leur première
coulée ! Vous savez, et l’adage le dit très bien : « Qu’une
femme voie en secret même son père, son frère ou son fils, alors son yoni mouillera. »
— Il va bien falloir que vous transmettiez votre
trône à quelqu’un, Votre Altesse. Et à qui d’autre, si ce n’est votre
fils présumé ou votre fille ?
— Au premier fils de ma sœur, comme le font tous
les rajahs. Toute lignée royale, en Inde, est de descendance sororale. Car,
voyez-vous, ma sœur est indiscutablement de mon sang. Même si notre royale mère
a été dans l’intimité infidèle à notre royal père et si ma sœur et moi avons
été conçus par des amants différents, nous n’en sommes pas moins sortis du même
utérus.
— Je comprends. Partant de là, peu importe qui
aura engendré son premier fils...
— Certes, j’espère que c’était moi. J’ai choisi
ma sœur aînée comme l’une de mes premières épouses – peut-être la cinquième ou
la sixième, je ne sais plus – et elle a mis au monde je pense sept enfants, a
priori de moi. Mais son fils aîné, même s’il n’est pas mon fils,
n’en est pas moins mon neveu :
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