Marco Polo
d’une tromperie aussi grossière. Ils sont
incapables d’accomplir un crime acceptable ! Mourir est encore trop doux
pour eux. Tout ce qu’ils méritent, c’est d’être réincarnés en une forme de vie
inférieure. ... si toutefois il en existe.
Je suggérai, plus pondéré :
— Votre Altesse, en tant qu’invité, je sollicite
comme une faveur de votre part que l’on épargne tous les imbéciles restants et
que tous ceux qui viendraient maintenant à se présenter soient détournés du
parjure qu’ils s’apprêtent à commettre. Si tout cela est arrivé, ce n’était
après tout qu’en raison de ce qui apparaît comme une omission dans la
proclamation de Votre Altesse...
— La mienne ? Une omission ?
Seriez-vous en train d’insinuer que je suis en faute ? Qu’un brahmane, qui
plus est doublé d’un maharadjah, peut être en faute ?
— Une précision manquait en effet, mais c’était
après tout bien compréhensible. Car si Votre Altesse sait parfaitement que
Bouddha était un homme de neuf coudées de haut et que chacune de ses dents
devait par conséquent être au moins aussi grosse qu’une tasse, elle a bien sûr
cru que son peuple le savait aussi.
— Vous avez raison, Marco- wallah. Il m’a
semblé évident que mes sujets se rappelleraient ce détail. Neuf coudées,
hein ?
— Peut-être qu’une proclamation amendée, Votre
Altesse...
— Oui. Je vais en faire une. Et par la même
occasion, je serai miséricordieux à l’égard des balourds qui se trouvent déjà
là. Un bon brahmane ne doit tuer aucun être vivant, quelle que soit sa
bassesse ; à moins que ce ne soit nécessaire ou opportun.
Il héla son majordome, donna les instructions pour la
proclamation et demanda que l’on disperse sans délai la procession qui
attendait de passer dans l’arrière-cour. Quand il revint vers moi, il avait
retrouvé sa bonne humeur.
— C’est fait. Un bon hôte brahmane se doit
toujours d’accéder aux vœux de ses invités. Mais foin de ces ennuyeuses
affaires et de ces délicates mesures ! Je vois que vous êtes mon invité et
que vous n’avez rien pour vous divertir !
— Oh, mais si, Votre Altesse. Constamment.
— Venez ! Vous allez admirer ma zenana.
Je m’attendais à le voir ouvrir son dhotì pour
me dévoiler quelque chose de déplaisant, mais il se contenta de se lever, de
m’attraper par le bras et de me guider vers une aile éloignée du palais. Tandis
qu’il m’escortait dans une succession de chambres meublées avec luxe, je
compris que cette zenana était le mot local pour désigner le harem, les
appartements de ses femmes et autres concubines. Les femmes d’âge mûr que je
pus y observer ne m’apparurent pas plus attrayantes que Tofaa ou les danseuses
du ventre, d’autant que toutes étaient plus ou moins entourées d’une nuée de
marmots de tous âges. Mais certaines des concubines du rajah étaient de toutes
jeunes filles. De ce fait, elles n’avaient pas encore ces bourrelets
disgracieux, cet œil de vautour et cette voix de corbeau caractéristiques de
leurs consœurs plus âgées, et d’aucunes étaient assez délicates, voire jolies.
— Je suis surpris, fis-je remarquer au petit
rajah, que Votre Altesse ait autant d’épouses. Devant votre évidente aversion
pour Dame Tofaa, j’avais plutôt pensé...
— Ah, eh bien si elle avait été votre femme,
comme je l’ai d’abord cru, je me serais arrangé pour vous donner suffisamment
de concubines et de danseuses du ventre pour vous distraire pendant que je la
séduisais jusqu’à la surata. Mais une veuve ? Quel homme
souhaiterait s’accoupler avec une pelure à jeter, une femme morte qui attend la
mort, alors que tant d’autres femelles encore juteuses, les siennes ou celles
des autres, n’attendent que lui, sans compter les nombreuses vierges encore
bourgeonnantes ?
— Oui... Je vois. Votre Altesse est un homme
viril.
— Ah-ah ! Vous m’avez pris pour un gand-mara ?
Un amoureux des hommes, qui hait les femmes ? Honte à vous, Marco- wallah ! Je vous accorde que, comme tout homme sensé, pour une compagnie de long
terme, je préfère le calme, la courtoisie et la docilité d’un garçon. Mais
chacun a ses tâches et ses obligations. Un rajah est censé entretenir une
fourmillante zenana, je le fais. Et je ne manque pas de les satisfaire
dûment, à tour de rôle, même les plus jeunes, dès qu’elles sont pubères.
— Ont-elles épousé Votre Altesse
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