Marco Polo
importance,
d’ailleurs ? Il était tout aussi immobile lorsqu’il était vivant ! Un
saint homme, vraiment. Les pèlerins viennent de partout pour l’admirer, et les
parents le montrent à leurs fils comme un exemple de piété.
— Cet homme n’a rien fait d’autre que rester sans
bouger. Si immobile que personne ne pouvait dire s’il était vivant... ou même
s’il est mort, à présent. Et c’est cela que vous appelez un saint homme ?
Ça, un exemple digne d’être admiré ? Imité, même, pourquoi pas ?
— Baissez la voix, Marco -wallah , ou Kyavana pourrait manifester son puissant pouvoir à vos dépens, comme il
l’a fait pour ces trois jeunes filles.
— Quelles jeunes filles ? Et qu’a-t-il
fait ?
— Voyez-vous ce mausolée, derrière la
termitière ?
— Je vois une hutte de terre battue, avec trois vieilles
sorcières affalées sur le seuil en train de se gratter.
— C’est le mausolée. Et ce sont les jeunes
filles. L’une a seize ans, les autres dix-sept, et...
— Tofaa, le soleil est très chaud, par ici.
Peut-être devrions-nous rentrer au palais pour que vous puissiez vous allonger.
— Je vous montre les choses à voir, Marco -wallah ! Lorsque ces filles
avaient onze et douze ans, elles ont été aussi irrévérencieuses que vous. Elles
sont venues ici sur un coup de tête et ont décidé d’entrouvrir leurs vêtements
pour révéler leurs charmes pubescents au saint homme Kyavana, afin de déranger
au moins une part de son anatomie de son immobilité. Vous voyez ce qui est
arrivé ? Elles ont été instantanément frappées de vieillesse, leurs
cheveux ont viré au blanc, elles se sont couvertes de rides, sont devenues
hagardes, comme vous les découvrez aujourd’hui. La cité a bâti un mausolée afin
qu’elles puissent y vivre les dernières années qui leur restent. Ce miracle est
devenu fameux dans toute l’Inde.
Je ris.
— Existe-t-il la moindre preuve de cette absurde
histoire ?
— Bien sûr que oui. Pour une pièce de cuivre, les
jeunes filles vous montreront leurs vraies kaksha, naguère fraîches et
jeunes, devenues brusquement cacochymes, amères et puantes. Regardez, elles
remontent déjà leurs hardes pour toi...
— Dio me varda ! (Je cessai de rire.) Jetez-leur vite trois pièces et filons. Je veux
bien croire d’office au miracle.
— À présent, fit Tofaa un autre jour, voici un
temple assez particulier. Un temple qui raconte... des histoires. Voyez-vous
ces sculptures magnifiquement ciselées sur tous les murs extérieurs ?
Elles présentent de façon très imagée les nombreuses façons dont un homme et
une femme peuvent accomplir la surata. Ou ce qu’un homme peut faire avec
plusieurs femmes.
— Ah, oui ? Et vous considérez cela comme
saint ?
— Très saint. Quand une jeune fille est sur le
point d’être mariée, on peut penser – puisqu’elle n’est encore qu’une très
jeune enfant – qu’elle ne connaît pas encore la façon dont un mariage peut être
consommé. Aussi ses parents l’amènent-ils là et l’y laissent-ils en compagnie
du sage et gentil sâdhu. Il fait faire à la jeune fille le tour du
temple, lui désignant telle ou telle sculpture et lui expliquant tranquillement
les choses, de façon que, quoi que fasse son mari lors de la nuit de noces,
elle ne soit pas terrifiée. Tenez, voici justement le bon sâdhu. Donnez-lui
quelques pièces de cuivre, Marco -wallah , et il nous fera visiter ; je vous répéterai en farsi ce qu’il nous
dira.
À mes yeux, le prêtre n’était rien d’autre qu’un
Hindou, noir, sale et famélique, vêtu de l’habituel dhotì miteux et du
turban. J’aurais à peine osé demander mon chemin à pareil individu. Quant à lui
confier une jeune fille craintive et inquiète, je n’y aurais jamais songé un
instant. Elle risquait fort d’être bien plus rebutée à sa vue qu’à ce qui
pourrait lui arriver durant sa nuit de noces.
Peut-être pas, après tout. À en croire les sculptures
du temple, en effet, des choses ahurissantes pouvaient se produire au cours
d’une nuit de noces... Tandis que le sâdhu pointait du doigt telle ou
telle scène, hennissant doucement tout en jetant des regards concupiscents et
en se frottant les mains, je vis la représentation de pratiques que je n’avais
pas crues possibles jusqu’à un certain âge et une véritable expérience de la
vie. Les hommes et les femmes de pierre copulaient dans toutes les positions
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