Marco Polo
nous-mêmes.
— Oh, les Han peuvent très bien s’en charger. Je
voudrais juste que vous preniez le commandement. Que vous teniez à l’œil ces
Han, de façon qu’eux ne fuient pas avec la princesse, n’aillent la
vendre aux pirates ou ne la perdent en cours de route. Et vous garderiez un œil
sur l’itinéraire, également, pour qu’ils ne vous fassent pas chavirer
par-dessus le bord du monde.
— Oui, nous pourrons nous en occuper, Sire.
— Vous serez munis de mon pai-tzu et
disposerez d’une autorité illimitée et indiscutable, tant sur les mers que lors
de n’importe quelle escale. Cela signifie que vous voyagerez très
confortablement jusqu’en Perse, dans un bateau bien équipé, en nourriture comme
en personnel. Surtout, le déplacement de l’invalide Matteo en sera facilité,
avec des domestiques qui veilleront sur lui. Vous serez attendus en Perse par
un convoi envoyé pour recevoir Dame Kukachin, et l’on vous transportera dans la
capitale choisie par Arghun. De là, il vous procurera les moyens d’achever au
mieux votre expédition de retour. Voilà, Marco, telle est la mission. Veux-tu
en débattre avec tes oncles ?
— C’est que, Sire, je suis certain à présent de
pouvoir parler en leur nom. Nous serons non seulement honorés de la remplir,
mais nous vous sommes fort obligés de nous faciliter ainsi le trajet de retour.
Voici donc comment, pendant que la flotte de la future
mariée s’assemblait et se préparait à l’expédition, mon père procéda aux
derniers arrangements relatifs aux affaires de la Compagnie Polo, tandis que je
réglais les miennes. Je dictai aux scribes de la cour une lettre à joindre aux
instructions officielles qu’envoyait le khakhan au wang Bayan en terre
d’Ava. J’envoyais à mon vieil ami mes chaleureuses salutations ainsi que mes
adieux et suggérais que, dans la mesure où la nation thaï était destinée à
conserver liberté et indépendance, je considérerais comme une faveur
personnelle si Bayan veillait à ce que la petite servante Arùn, à Pagan,
retrouve la liberté et soit emmenée en sécurité sur sa terre natale, parmi les
siens.
Ensuite, sur les derniers gains qu’avait amassés à
Kithai la Compagnie Polo, convertis par mon père en valeurs aisément
transportables, je prélevai ma part, un coffret rempli de rubis, et l’emmenai
pas plus loin que les appartements du ministre des Finances Lin-ngan. C’était
le premier membre de la cour que j’avais rencontré et le premier à qui je
venais maintenant faire mes adieux. Je lui remis les pierres précieuses et lui
demandai d’en utiliser la valeur pour assurer le paiement d’un legs aux pages
du khakhan, quand chacun d’entre eux atteindrait la majorité, afin qu’ils aient
de quoi se lancer dans la vie et tenter de faire fortune.
Puis je m’en retournai au palais faire mes adieux aux
autres courtisans. Pour certains, ce ne fut que par civilité, comme le hakim Gansui et la khatun Jamui, la première épouse de Kubilaï. Pour d’autres,
s’ils furent moins formels, ils n’en restèrent pas moins brefs, comme ceux que
j’adressai à l’Astronome et à l’Architecte de la Cour. Je remerciai l’Ingénieur
du palais Wei d’avoir construit le pavillon aquatique dans lequel Hui-sheng
avait apprécié la vibrante musique des flûtes à eau. Quant au ministre de
l’Histoire, je tins à lui annoncer :
— Vous pouvez à présent écrire ceci dans vos
archives. « Dans l’année du Dragon, soit l’an trois mille neuf cent
quatre-vingt-dix du calendrier Han, l’étranger Po-lo Mah-ko quitta la cité du
khan pour rentrer dans sa native Wei-ni-si. »
Il sourit, se remémorant notre conversation de jadis,
et demanda :
— Dois-je noter aussi que sa visite a rendu
service à Khanbalik ?
— C’est à Khanbalik d’en juger, seigneur
ministre.
— Non, c’est à l’Histoire de le dire. Mais là,
voyez... (Il prit un pinceau, humecta son bloc encreur et écrivit, sur un
papier déjà encombré de signes, une nouvelle ligne verticale de caractères. Je
reconnus parmi eux mon propre sceau yin) Voilà. La référence est désormais
inscrite à jamais. Revenez dans cent ans, Polo, ou dans mille, vous verrez que
ce point n’aura pas été oublié.
Pour d’autres, les adieux furent plus longs et plus
chaleureux. Pour trois d’entre eux – l’Artificier Shi
Ix-me , l’Orfèvre Pierre Boucher et le ministre de la Guerre Chao
Meng-fu, Artiste de la Cour et
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