Marco Polo
pour elle ce merveilleux
murmure musical en délicats attouchements et en douces caresses... Mais ceci se
déroula quelques années plus tard.
Je n’ai pour l’instant mentionné qu’une infime partie
des nouveautés et autres merveilles rencontrées à Kithai, dans Khanbalik et aux
alentours du palais du khakhan, sans doute trop peu pour prouver à quel point
ce pays était différent de tous ceux que je connaissais. Cette différence était
pourtant immense, j’aimerais ici le souligner. Que l’on garde bien présent à
l’esprit que l’empire de Kubilaï amalgamait un nombre impressionnant de
peuples, de communautés, de terres et de climats. Il aurait pu décider
d’installer sa capitale à Karakorum, siège historique des Mongols, ou plus au
nord, dans la Sibérie septentrionale, et dans de multiples autres endroits
encore. Mais, alors qu’il disposait d’un choix infini, c’est à Kithai qu’il
avait résolu de vivre : parce qu’il avait jugé cette terre plus attirante
que toutes les autres. Et c’était bien le cas.
J’avais pu observer, depuis mon départ d’Acre, bien
des contrées et des villes exotiques, mais leurs divergences tenaient au fond
essentiellement à leur aspect général, ce qu’on pourrait qualifier de premier
plan. Ce que j’entends par là, c’est que lorsque je découvrais une nouvelle
cité, mes yeux étaient naturellement captivés par les éléments qui se
présentaient immédiatement à eux. Il pouvait s’agir d’individus au teint
surprenant ou au comportement étrange, vêtus de costumes inusités, derrière
lesquels se profilaient en général des bâtiments d’une architecture qui m’était
tout sauf familière. Mais on croisait toujours, trottant dans les rues, des chiens
et des chats semblables à ceux que l’on trouve partout et, voletant au-dessus
de leurs têtes, des oiseaux picorant les ordures (pigeons, mouettes, milans ou
autres) identiques à ceux de toutes les autres villes du monde. Dès que l’on
sortait des faubourgs, s’étendaient fatalement, un peu plus loin, des collines,
des plaines ou des montagnes aux formes plus ou moins banales. Bien que le
paysage ou la faune locale pussent, au premier abord, étonner et charmer – tels
ces majestueux rochers couronnés de neige de l’inaccessible Pamir ou les
magnifiques « moutons de Marco » qui s’ébattaient sur leurs pentes –,
au bout d’un moment, lorsqu’on avait beaucoup voyagé, plus rien des paysages,
de la flore ou de la faune rencontrés ne vous étonnait vraiment.
Au contraire, tout, où que ce soit à Kithai, sortait
de l’ordinaire : non seulement ce qui s’offrait dès l’abord au regard du
visiteur, mais aussi les détails que l’on n’aperçoit que du coin de l’œil, les
sons que l’on entend et les subtiles odeurs qui surgissent de tous côtés. En me
promenant dans les rues de Khanbalik, je pouvais fixer les yeux n’importe où,
que ce soit sur les toits en pagode ou sur les vêtements si variés des
passants, j’avais toujours l’impression que, dès l’instant suivant, quelque
chose de captivant allait de nouveau accrocher mon regard.
Dans la rue, je voyais certes, comme partout ailleurs,
des chiens et des chats. Mais pas moyen de les confondre avec les charognards
que j’avais croisés à Suvediye, à Balkh ou ailleurs. La plupart des chats de
Kithai étaient de petite taille et très joliment colorés, d’un brun grisâtre
sur tout le corps à l’exception des oreilles, des pattes et de la queue, d’un
marron bien plus foncé. D’autres avaient le pelage gris argent et des
extrémités presque indigo, avec une queue étrangement courte dont la pointe
était curieusement tordue, comme un crochet avec lequel on aurait pu les
suspendre. Certains des chiens qui couraient avaient l’air de lions miniatures,
la crinière ébouriffée, le museau écrasé, les yeux exorbités. Une autre race ne
ressemblait à rien de ce que j’avais déjà pu voir sur cette Terre, sauf
peut-être à une souche de bois sur pattes, si l’on peut se représenter pareille
chose. Ce chien était appelé shar-pei, ce qui signifie « ample
d’écorce », car sa peau était si large par rapport au corps qu’elle
enveloppait qu’on parvenait à peine à en distinguer les traits et encore moins
la forme. Il ne s’apparentait à rien d’autre, lorsqu’on le regardait se
mouvoir, qu’à un grotesque amas de plis qui se dandinait.
Je vis aussi une autre race de chien
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