Marco Polo
dit, me permit peu de temps après d’impressionner
Kubilaï. En revanche, il refusa, cordialement mais fermement, de satisfaire ma
curiosité au sujet du fameux distributeur de boissons en forme d’arbre à
serpents et des paons animés qui m’avaient tant frappé lors du banquet.
— Comme l’urne sismique, ils ont été inventés par
mon père, mais sont d’une bien plus grande complexité. Vous me pardonnerez,
Marco et prince Chingkim (il nous salua d’une petite révérence à la mode
française), de conserver ces secrets. Il se trouve que beaucoup d’artisans
convoitent mon poste d’Orfèvre de la Cour. Vous savez*, je ne suis au
fond ici qu’un étranger, et je tiens à garder les avantages qui sont les miens.
Tant que je serai le seul à savoir maintenir en état certains de ces
dispositifs, je serai à l’abri des usurpateurs.
Le prince eut un sourire compréhensif et
murmura :
— Bien sûr, maître Boucher.
Je fis de même avant d’ajouter :
— À propos de la salle du banquet, je me suis
posé des questions sur un autre sujet. Alors que la salle était bondée, au lieu
d’être confiné et surchauffé, l’air est constamment resté frais. Devions-nous
cette commodité à un autre de vos équipements, Pierre ?
— Non, répondit-il. En réalité, l’affaire est
très simple. C’est une vieille invention des Han, actuellement sous la
direction de l’Architecte de la Cour.
— Viens, Marco, m’enjoignit Chingkim. Nous allons
lui rendre visite. Son atelier est tout près d’ici.
Nous saluâmes l’Orfèvre de la Cour et allâmes
rejoindre maître Wei, qui me fut à son tour présenté.
— C’est une affaire très simple, en effet,
confirma-t-il. Il est bien connu que l’air frais insufflé d’en bas chasse l’air
chaud vers le haut. Il y a donc un peu partout sous le palais des caves reliées
par des passages. Sous chacun des bâtiments, une des caves est utilisée comme
dépôt de glace. Nous sommes en permanence alimentés en blocs de glace taillés
par des esclaves dans les froides montagnes du Nord, puis enveloppés dans la
paille et acheminés jusqu’ici en convois rapides. Ainsi, à n’importe quel
moment, rien que par l’habile ouverture ou la fermeture des portes qui donnent
sur les passages, on peut diriger où on le désire la fraîcheur engendrée par
les blocs gelés.
Sans même que j’aie eu à l’interroger, maître Wei fut
très fier de me décrire quelques-uns des autres astucieux appareils dont il
avait la charge.
— Par le biais d’une roue à eau d’invention han,
une partie de l’eau des ruisseaux d’ornementation des jardins est envoyée
jusque dans des réservoirs situés sous la pointe du toit de chacun des bâtiments
du palais. Je puis alors diriger cette eau à travers des rigoles longeant les
caves gelées ou le dessus des fours de nos cuisines, en faire ainsi de l’eau
glacée ou de l’eau chaude et créer sur commande un climat artificiel.
— Un climat artificiel ? répétai-je,
émerveillé.
— Dans tous les jardins, il existe des pavillons
dans lesquels les seigneurs et les dames de la cour aiment à venir se délasser.
Si, par une journée particulièrement chaude, les nobles visiteurs désirent une
pluie rafraîchissante, mais sans se faire mouiller pour autant – ou si quelque
poète aspire simplement à méditer dans une atmosphère mélancolique –, je n’ai
qu’à actionner une roue. Des toits du pavillon, un rideau de pluie se mettra à
tomber gentiment tout autour. De même, dans lesdits pavillons se trouvent des
sièges qui semblent faits de pierre solide, mais sont en réalité creux. En
plein été, j’ai la possibilité de faire circuler à l’intérieur une eau très
froide, ou au contraire plus chaude lors des périodes fraîches de l’automne ou
du printemps. Je rends ainsi ces fauteuils plus confortables aux augustes
séants qui viennent s’y poser. Dès que la colline de kara actuellement
en cours de construction sera achevée, je serai en mesure de faire installer
dans les pavillons des commodités encore plus appréciables. Les eaux coulant
dans les goulottes mettront en mouvement des sortes d’éventails automatiques et
bouillonneront dans des flûtes de terre cuite afin de produire une musique
douce.
Tout cela, j’eus le plaisir de le voir réalisé. Je le
sais, car j’ai passé par la suite plus d’un après-midi de rêve dans ces
pavillons en compagnie de Hui-sheng, à traduire
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