Marco Polo
d’extraordinaire.
Et si je levais les yeux au-dessus des toits de la
cité, je pouvais voir sur n’importe quelle brise de l’automne flotter des
grappes de feng-zheng. Il ne s’agissait pas d’oiseaux, bien que certains
en eussent la forme et les couleurs ; d’autres ressemblaient à des
papillons, voire à des dragons. Les feng-zheng étaient des objets
construits à partir de longues baguettes de bois léger et de papier fin,
attachés à une très longue ficelle qui se dévidait d’un rouleau. Le
propriétaire s’élançait avec son feng-zheng et laissait la brise
l’emporter vers le ciel, puis, grâce à de subtiles tractions opérées à
l’extrémité de la corde, il parvenait à le faire monter, voler et virer dans le
ciel. (Pour ma part, je n’ai jamais pu maîtriser cet art.) La hauteur atteinte
par l’engin n’était limitée que par la longueur de corde qui le retenait, et il
arrivait qu’ils disparaissent à la vue. Les hommes aimaient à organiser des
batailles de feng-zheng. Pour cela, ayant enduit la corde de glu, ils la
saupoudraient d’une substance aux vertus abrasives tels de fins débris de porcelaine
ou de mica, puis laissaient leurs engins prendre leur envol. Toute leur
habileté consistait ensuite à les guider de telle façon que leur corde coupe
celle de l’adversaire et fasse ainsi plonger son appareil vers le sol. Tous,
concurrents autant que spectateurs de ces « combats », engageaient de
fortes sommes en paris sur l’issue de la bataille.
Les femmes et les enfants aimaient, pour leur part,
faire voler leurs feng-zheng juste pour leur plaisir.
La nuit venue, rien n’était plus facile pour moi que
d’observer les occupants si particuliers du ciel de Kithai car, que je le
veuille ou non, leur bruit me faisait dresser la tête. Je parle bien sûr des
violentes détonations, des sifflements de ces éclairs et de ce tonnerre
artificiel appelés les « fiers rameaux aux fleurs éclatantes ». Comme
dans tant d’autres villes orientales, à Kithai, presque chaque jour semblait
marquer la date d’une fête folklorique ou la commémoration d’un anniversaire.
Il n’y avait cependant qu’à Kithai que ces festivités se poursuivaient jusque
dans la nuit, prétexte à envoyer dans les airs ces curieuses fusées de feu qui
partaient à l’assaut du ciel avant d’éclater en étoiles de lumière plus
éblouissantes encore, qui s’effilochaient en étincelles incandescentes avant de
retomber en grésillant vers le sol. J’assistais à ces exhibitions avec un
mélange de crainte et d’admiration, qui ne fut en rien atténué lorsque j’appris
comment fonctionnaient ces merveilles.
Au-delà des villes, les paysages bigarrés de Kithai,
eux aussi, différaient de ceux des autres contrées. J’en ai déjà décrit
certains, d’autres viendront en temps voulu. Laissez-moi vous dire ceci. Durant
tout le temps que j’ai passé à Khanbalik, je n’ai eu, lorsque je décidais de
partir pour la journée en excursion dans le pays, qu’à commander un cheval aux
écuries du palais. En moins d’une matinée, je découvrais alors un panorama
qu’on ne peut voir nulle part ailleurs qu’à Kithai. Car même si elle n’est
qu’une relique inutile, témoignant d’une gloire vaine, la Grande Muraille, ce
monstrueux serpent pétrifié dans sa course rampante d’un horizon à l’autre,
n’en constitue pas moins une fantastique fête pour les yeux.
Je ne voudrais pas non plus donner l’impression que
tout, à Kithai, jusqu’en dehors de la ville du khan, était à la fois beau,
aisé, riche et doux. Je ne l’aurais d’ailleurs pas souhaité moi-même. Ce qui
devient trop longtemps irréprochable finit aussi par vous lasser, tels les
paysages du Pamir, grandioses mais monotones. Par exemple, Kubilaï aurait pu
choisir d’établir sa capitale dans une cité au climat tempéré : il y
avait, au sud, des terres baignées d’un perpétuel printemps ; d’autres,
plus méridionales, jouissaient d’un été permanent. Cela dit, en visitant ces
villes, j’y ai trouvé des gens au caractère si doux, à l’instar du climat qui y
règne, qu’il finit par être ennuyeux.
Le climat de Khanbalik ressemblait à celui de
Venise : pluvieux au printemps, neigeux en hiver et d’une chaleur qui
pouvait devenir oppressante une fois l’été venu. Et si ses habitants ne sont
pas confrontés à l’humide moisissure qui sévit à Venise, leurs maisons, leurs
vêtements et
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