Marco Polo
ressembler à une véritable tour de Babel.
Et je n’ai aucun doute quant aux aptitudes de ta narine à capter tout ce qu’il
faudra de cancans et de scandales.
— Je suis honoré de votre demande, maître,
mais...
— Je ne te demande rien, c’est un ordre. Tu
passeras désormais ton temps libre, et tu n’en manques pas, à te mêler aux
valets et à tes camarades esclaves.
— Pour être honnête, maître, je suis épouvanté à
l’idée de devoir rôder dans ces couloirs. Je pourrais me cogner à l’un des
agents du Caresseur, et...
— Continue à m’interrompre et je t’emmènerai
là-bas moi-même ! Tu vas m’écouter. Tous les après-midi, à partir
d’aujourd’hui, nous viendrons nous asseoir ici tous les deux, et tu me
répéteras la moindre miette de conversation, jusqu’à la plus petite histoire
que tu auras pu intercepter.
— Quel qu’en soit le sujet ? Vous voulez
dire toutes ? C’est que la majeure partie de ce qui se raconte est d’une
affligeante banalité !
— Tout. Pour l’instant, ce qui m’intéresse le
plus, c’est ce qui peut concerner le ministre des Races minoritaires, un nommé
Pao Nei-ho. Si tu as l’occasion de faire glisser subtilement la conversation
sur lui, fais-le. Mais surtout, agis discrètement. À côté de cela, je
veux tout savoir de ce que tu entendras. On ne peut préjuger de l’importance
que pourrait receler le moindre potin.
— Maître Marco, je dois cependant élever à
l’avance une respectueuse objection. Je ne suis plus aussi beau aujourd’hui que
j’ai pu l’être naguère, lorsque je pouvais envoûter même les princesses afin de
les pousser à me faire des confidences...
— Oh, arrête avec ce stupide mensonge !
Narine, tu sais, je sais, le monde entier sait que tu as toujours été
épouvantablement laid et que tu n’as jamais effleuré ne serait-ce que l’ourlet
de la robe d’une princesse !
Pas vexé pour un sou, il persista :
— D’un autre côté, vous avez à portée de main
deux jolies servantes qui pourraient parfaitement jouer de leurs charmes pour
obtenir tout ce qu’elles veulent. Elles me semblent largement mieux dotées que
moi pour tirer, par leurs cajoleries, des secrets de...
— Narine, dis-je patiemment. Tu vas espionner
parce que je te l’ordonne, et je n’ai pas à me justifier. Par ailleurs,
permets-moi de te signaler un détail qui ne t’est peut-être pas monté au
cerveau, mais dont je suis, moi, bien conscient. Ces deux servantes dont tu me
parles, figure-toi, sont très probablement là pour surveiller mes propres faits
et gestes. Souviens-toi que c’est le fils du khakhan, sur l’ordre direct de son
père, qui m’a attribué ces filles.
J’utilisais toujours cette expression, « les
filles », pour parler d’elles à un tiers, car mentionner chaque fois leurs
deux prénoms aurait été tout sauf pratique. Par ailleurs, je répugnais à les
désigner sous le nom de « servantes », car elles représentaient pour
moi nettement plus que cela. Quant à les qualifier de « concubines »,
j’aurais jugé le terme quelque peu désobligeant. En privé, je m’adressais à
elles en les appelant distinctement Buyantu et Biliktu, car j’avais fini par
trouver le moyen de les différencier. Bien qu’une fois habillées elles fussent
identiques, je savais désormais les reconnaître aux subtilités de leur
expression et de leurs gestes. Déshabillées, bien qu’ayant encore aux joues les
mêmes fossettes, celles qu’elles avaient aux coudes et celles, particulièrement
engageantes, qu’elles arboraient à la base de leur colonne vertébrale, étaient
aisées à distinguer. Biliktu avait sous le sein gauche quelques taches de
rousseur, et Buyantu en haut de la cuisse droite une minuscule cicatrice due à
une mésaventure de jeunesse.
J’avais pris note de ces particularités lors de notre
première nuit passée ensemble, ainsi que d’autres petits détails. Les deux
filles étaient agréablement faites et n’avaient subi aucune mutilation intime.
Elles n’avaient rien de bien différent, de par les lignes de leur corps, des
autres femmes que j’avais connues, si ce n’est leurs jambes peut-être
légèrement plus courtes et leur taille un soupçon moins fine que celle d’une
Vénitienne ou d’une Persane. Mais le détail le plus intrigant, ce qui les
différenciait nettement des femmes d’autres races, c’était l’aspect de leurs
poils pubiens. Si elles
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