Marco Polo
de
menace contenue.
— Lorsque je reviendrai, nous verrons... enfin,
je serai heureux d’écouter ce que vous avez à suggérer... c’est-à-dire, enfin,
pour tenter d’arranger en quelque sorte ce...
J’abandonnai et lâchai finalement :
— Je vous en prie, toutes les deux. En attendant
mon retour, si toutefois vous arrivez à vous désagripper une seconde, j’aurais
un service à vous demander. Vous voyez ce pot que j’ai mis à chauffer ?
Elles tournèrent la tête pour envisager l’objet d’un
regard indifférent. Le pot était devenu fort chaud, aussi dus-je attraper le couvercle
du pan de ma robe pour en scruter le contenu. De l’intérieur monta une petite
fumée, mais rien n’indiquait que quelque chose se fut mélangé. Je remis en
place le couvercle avec soin et ajoutai :
— Vous maintiendrez dessous une petite
flamme ; mais toujours à feu très doux, surtout.
Elles se séparèrent et s’approchèrent docilement du
brasero, que Biliktu alimenta de quelques fragments de charbon de bois.
— Merci, fis-je. Je n’aurai pas besoin d’autre
chose. Veillez simplement à maintenir un feu doux, et quand je reviendrai...
Mais elles s’étaient déjà désintéressées de moi et se
couvaient mutuellement d’un regard si expressif que je m’éclipsai sans
insister.
Kubilaï me reçut dans la pièce qui abritait son
détecteur de séismes. Nous étions en tête à tête, il m’accueillit sans effusion
mais avec cordialité. Il savait que j’avais quelque chose à lui dire et
semblait prêt à m’écouter sans perdre une seconde. Cependant, peu désireux de
lâcher trop étourdiment l’information que je venais lui apporter, je préférai
commencer avec circonspection :
— Sire, soyez assuré qu’en aucun cas je ne
voudrais, par excès d’impétuosité et dans ma grande ignorance, accorder trop de
poids aux maigres services que je puis vous rendre. J’ai la sensation de
disposer pour vous de renseignements relativement sensibles, mais il m’est
difficile d’en estimer la valeur sans obtenir au préalable des précisions sur
la position des armées de Votre Altesse et la réalité de ses objectifs.
Kubilaï ne prit pas ombrage de ma curiosité et ne me pria
pas non plus d’aller m’informer à ce sujet auprès de ses sous-fifres.
— Comme tout conquérant, il me faut maintenir
sous mon aile les terres que j’ai soumises. Quand, il y a quinze ans, j’ai été
nommé khan de tous les khans mongols, je me suis vu disputer ce titre par mon
frère Arikbugha, et j’ai dû le terrasser. Plus récemment, j’ai eu à refréner
des ambitions semblables de la part de mon cousin Kaidu. (Il écarta d’un geste
dédaigneux ces vétilles.) Les éphémères s’imaginent toujours pouvoir renverser
le cèdre. Nuisances sans importance que tout cela, mais qui requièrent de ma
part le maintien d’armées permanentes sur toutes les frontières de Kithai.
— Pourrais-je savoir, Sire, lesquelles sont
engagées dans des opérations de guerre, et non juste cantonnées en
garnison ?
Il me répondit par un autre résumé de la situation,
tout aussi succinct.
— Si je veux assurer mon contrôle sur cette
Kithai que j’ai prise aux Chin, je dois aussi posséder les terres méridionales
des Song. Je parviendrai plus aisément à les soumettre par l’encerclement, et,
pour ce faire, il me faut commencer par la province du Yunnan. C’est donc
actuellement le seul endroit où mes troupes se trouvent activement engagées,
sous les ordres de mon très efficace orlok Bayan.
Pour ne pas jeter le discrédit sur les talents de son
subordonné, je choisis avec soin les termes qui suivirent :
— Cela fait déjà un certain temps qu’il conduit
son attaque dans cette zone, si j’ai bien compris. Se pourrait-il, Sire, qu’il
rencontre sur place davantage de difficultés qu’il n’en avait escompté ?
Kubilaï me regarda avec acuité.
— Il n’est pas sur le point d’enregistrer une
défaite, si c’est ce que tu veux dire. Mais il n’est pas en route non plus pour
une victoire facile. Il a dû arriver là par les terres du To-Bhot et descendre
vers le Yunnan par les pentes escarpées du Hang-duang. Or notre cavalerie est
mieux adaptée aux combats en plaine. Ces Yi du Yunnan connaissent la moindre
crevasse de leurs montagnes et combattent intelligemment, sans chercher la
confrontation. Ils préfèrent nous frapper par-derrière, à l’abri de rochers ou
de bosquets, et
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