Marcof-le-malouin
main sur la croupe arrondie et luisante de son cheval favori, bien décidément, cette petite est charmante, et je serais fâché qu’elle mourût sitôt ! En tout cas, je remonterai tout à l’heure, et si elle est en état de m’entendre, je lui parlerai fort nettement. De cette façon, j’éviterai les premières scènes de larmes et de cris, car elle sera trop faible pour me répondre.
Et le chevalier, après avoir pris cette froide résolution, se promena dans la cour. Le comte et sa compagne le suivaient du regard à travers l’étroite fenêtre.
– Pauvre chevalier ! fit le comte en se penchant vers Hermosa et en donnant à ses paroles un accent d’ironie amère, pauvre chevalier ! sa douleur me fait mal !
– Tu sais bien que Raphaël n’a jamais eu de cœur ! répondit Hermosa à voix basse.
– J’aurais pourtant cru que la petite lui avait monté la tête.
– Lui ?… Tu oublies, Diégo, que l’amour de l’or est le seul amour que connaisse Raphaël. Il craint de s’ennuyer ici, et s’il a enlevé cette enfant, c’est pour lui servir de passe-temps.
– On dirait que tu n’aimes pas ce cher ami, Hermosa ?
– Je le hais !
– Très-bien !
– Pourquoi ce très-bien ?
– Je m’entends, fit le comte avec un sourire.
– Et moi je ne t’entends pas.
– Quoi ! il te faut des explications ?
– Sans doute.
– Eh bien ! chère Hermosa, continua le comte en refermant la porte de la cellule où se trouvait Yvonne et en entraînant sa compagne vers son appartement, combien avons-nous rapporté du château de Loc-Ronan ?
– Mais environ cinquante mille écus, tant en or et en traites qu’en bijoux et en pierreries.
– Ce qui fait, après le partage ?…
– Soixante-quinze mille livres chacun.
– C’est peu, n’est-ce pas ?
– Fort peu.
– Surtout après ce que nous avions rêvé !
– Hélas !
– Cependant, si nous avions les cinquante mille écus à nous seuls, ce serait une fiche de consolation ?
– Oui, mais nous ne les avons pas.
– Si nous héritions de Raphaël ?
– Il est plus jeune que toi.
– Bah ! la vie est semée de dangereux hasards.
– Cite-m’en un ?
– Dame ! personne ne nous sait ici. Nous sommes seuls, et si Raphaël était atteint subitement d’une indisposition.
– Eh bien ?…
– Je parle d’une de ces indispositions graves qui entraînent la mort dans les vingt-quatre heures !
– Est-ce que tu serais amoureux de la Bretonne, Diégo ? dit Hermosa en regardant fixement son interlocuteur.
– Jalouse ! répondit le comte avec un sourire. Tu sais bien que je n’aime que toi, Hermosa ; toi et notre Henrique. Si Raphaël venait à trépasser, Henrique hériterait de lui, et ces soixante-quinze mille livres lui assureraient un commencement de dot.
– Tu me prends par l’amour maternel, Diégo.
– Enfin, es-tu de mon avis ?
– Eh ! je ne dis pas le contraire ; mais Raphaël se porte bien.
– Du moins il en a l’apparence ; je suis contraint de l’avouer.
– À quoi bon alors toutes ces suppositions ?
– À quoi bon, dis-tu ?
– Oui.
– Tiens, chère et tendre amie, regarde ce petit flacon. Et Diégo tira de sa poitrine une petite fiole en cristal, hermétiquement bouchée, contenant une liqueur incolore.
– Qu’est-ce que cela ? demanda Hermosa.
– Un produit chimique fort intéressant. Mélangé au vin, il n’en change le goût ni n’en altère la couleur.
– Et quel effet produit-il ?
– Quelques douleurs d’entrailles imperceptibles.
– Qui amènent infailliblement la mort, n’est-ce pas, dit Hermosa en baissant encore la voix. Ce que contient cette fiole est un poison violent ?
– Eh ! non. Tu as des expressions d’une brutalité révoltante, permets-moi de le dire. Il ne s’agit nullement de poison. L’effet de ces douleurs d’entrailles cause un malaise général d’abord, puis détermine ensuite un épanchement au cerveau. De sorte que celui qui a goûté à cette liqueur meurt, non pas empoisonné, mais par la suite d’une attaque d’apoplexie foudroyante. Voilà tout.
– Et tu nommes ce que contient ce flacon ?
– De l’extrait « d’aqua-tofana ! »
– Le poison perdu des Borgia ?
– Retrouvé par un ancien ami à moi que tu as connu en Italie.
– Cavaccioli, n’est-ce pas ?
– En personne !
Hermosa ne continua pas la conversation. Le comte fit quelques tours dans
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