Marcof-le-malouin
frère. »
Un long silence succéda au récit de Philippe. La religieuse et Jocelyn réfléchissaient profondément. Le vieux serviteur prit le premier la parole.
– Monseigneur, dit-il, lorsque le capitaine est venu au château, il y a quelques jours, l’avez-vous prévenu de ce qui allait se passer ?
– Non, mon ami, répondit le marquis ; j’ignorais alors que le moment fût si proche, n’ayant pas encore vu les deux misérables que tu connais si bien.
– Mais il vous croit donc mort ? s’écria la religieuse.
– Non, Julie.
– Comment cela ?
– Marcof, d’après nos conventions, devait revoir le marquis de La Rouairie. Il avait été arrêté entre eux qu’ils se rencontreraient à l’embouchure de la Loire. Le matin même qui suivit notre dernière entrevue, il mettait à la voile pour Paimbœuf. Il devait, m’a-t-il dit, être douze jours absents. Or, en voici huit seulement qu’il est parti. Demain dans la nuit, Jocelyn se rendra à Penmarckh ; je lui donnerai les instructions nécessaires, et il préviendra mon frère.
Le marquis ignorait le prompt retour du Jean-Louis et la subite arrivée de Marcof. Il ne savait pas que le marin, le croyant mort, avait pénétré dans le château et s’était emparé des papiers que le marquis lui avait indiqués.
– Le capitaine sera-t-il de retour ? fit observer Jocelyn.
– Je l’ignore, répondit Philippe ; mais peu importe ! Écoute-moi seulement, et retiens bien mes paroles.
– J’écoute, monseigneur.
– Il a été convenu jadis entre mon frère et moi que toutes les fois qu’il aborderait à terre et que tu ne lui porterais aucun message de ma part, il pénétrerait dans le parc de Loc-Ronan par la petite porte donnant sur la montagne, et dont je lui ai remis une double clé. Une fois entré, il se dirigerait vers la grande coupe de marbre placée sur le second piédestal à droite. C’est à l’aide de cette coupe que nous échangions nos secrètes correspondances. Bien des fois nous avons communiqué ainsi lorsque des importuns entravaient nos rencontres. Demain, ou plutôt cette nuit même, Jocelyn, je te remettrai une lettre que tu iras déposer dans la coupe.
– Mais, interrompit Jocelyn, si, en débarquant à terre, le capitaine apprend la fatale nouvelle déjà répandue dans tout le pays, il croira à un malheur véritable, et qui sait alors s’il viendra comme d’ordinaire dans le parc ?
– C’est précisément ce à quoi je songeais, répondit le marquis. Je connais le cœur de Marcof ; je sais combien il m’aime, et son désespoir, quelque court qu’il fût, serait affreux.
– Mon Dieu ! inspirez-nous ! dit la religieuse avec anxiété. Que devons-nous faire ?
– Je ne sais.
– Et moi, je crois que j’ai trouvé ce qu’il fallait que je fisse, dit Jocelyn.
– Qu’est-ce donc ?
– Tout le monde vous pleure, monseigneur ; mais on ignore ce que je suis devenu, et l’on doit penser au château que je reviendrai d’un instant à l’autre.
– Eh bien ?
– Maintenant que vous êtes en sûreté ici, rien ne s’oppose à ce que je retourne à Loc-Ronan.
– Je devine, interrompit le marquis. Tu guetteras l’arrivée du Jean-Louis ?
– Sans doute. Je veillerai nuit et jour, et dès que le lougre sera en vue, je l’attendrai dans la crique.
– Bon Jocelyn ! fit le marquis.
– Si vous le permettez même, monseigneur, je partirai cette nuit.
– Je le veux bien.
– Et si le capitaine me demande où vous vous trouvez, faudra-t-il le lui dire ?
– Certes.
– Et l’amener ?
Le marquis regarda la religieuse comme pour solliciter son approbation. Julie devina sa pensée.
– Oui, oui, Jocelyn, dit-elle vivement, amenez ici le frère de votre maître.
Le marquis s’inclina sur la main de la religieuse et la remercia par un baiser.
– Ange de bonté et de consolation ! murmura-t-il.
À peine se relevait-il qu’un bruit léger retentit dans le souterrain et fit pâlir la religieuse et Jocelyn.
– Mon Dieu ! dit Julie à voix basse, avez-vous entendu ?
– Silence ! fit Jocelyn en se levant.
Le marquis avait porté la main à sa ceinture et en avait retiré un pistolet qu’il armait. Jocelyn se glissa hors de la cellule. Il avança doucement dans la demi-obscurité et se dirigea vers la petite porte secrète qui faisait communiquer la partie du cloître cachée sous la terre avec les galeries souterraines dont nous avons
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