Marcof-le-malouin
Loc-Ronan.
– Le marquis de Loc-Ronan ! répéta Marcof qui vint tout à coup se placer en face de moi. Mais alors, si ce que vous me disiez était vrai, ce serait…
Il n’acheva pas.
– Votre père ! lui dis-je.
– Et vous ! vous ?…
– Moi, Marcof, je suis ton frère !
Et j’ouvris mes bras au marin qui s’y précipita en fondant en larmes. Pendant deux semaines j’oubliai presque mes douleurs quotidiennes. Votre charmante image, Julie, venait seule se placer en tiers entre nous.
– Quoi ! s’écria vivement la religieuse, auriez-vous confié à votre frère…
– Rien ! interrompit le marquis ; il ne sait rien de ma vie passée. Connaissant la violence de son caractère, je n’osai pas lui révéler un tel secret. Marcof, par amitié pour moi, aurait été capable d’aller poignarder à Versailles même les infâmes qui se jouaient de mon repos et menaçaient sans cesse mon honneur. Non, Julie, non, je ne lui dis rien ; il ignore tout. Marcof aurait trop souffert.
Le marquis baissa la tête sous le poids de ces cruels souvenirs, tandis que la religieuse lui serrait tendrement les mains.
– Et que devint Marcof ? demanda-t-elle pour écarter les nuages qui assombrissaient le front de son époux.
– Je vais vous le dire, répondit Philippe en reprenant son récit.
Moins pour obéir à mon père que pour suivre les inspirations de mon cœur, je conjurai mon frère d’accepter une partie de ma fortune, et de prendre avec la terre de Brévelay le nom et les armes de la branche cadette de notre famille, branche alors éteinte, et qu’il eût fait dignement revivre, lors même que son écusson eût porté la barre de bâtardise. Mais il refusa.
– Philippe, me dit-il un jour que je le pressais plus vivement d’accéder à mes prières, Philippe, n’insiste pas. Je suis un matelot, vois-tu, et je ne suis pas fait pour porter un titre de gentilhomme. J’ai l’habitude de me nommer Marcof ; laisse-moi paisiblement continuer à m’appeler ainsi. Si demain tu me reconnaissais hautement pour être de ta famille, on fouillerait dans mon passé, et on ne manquerait pas de le calomnier. Mes courses à bord des corsaires, on les traiterait de pirateries. Mon séjour dans les Calabres, on le considérerait comme celui d’un voleur de grand chemin. Enfin, on accuserait notre père, Philippe, sous prétexte de me plaindre, et nous ne devons pas le souffrir. Demeurons tels que nous sommes. Soyons toujours, l’un le noble marquis de Loc-Ronan ; l’autre le pauvre marin Marcof. Nous nous verrons en secret, et nous nous embrasserons alors comme deux frères.
– Réfléchis ! lui dis-je ; ne prends pas une résolution aussi prompte.
– La mienne est inébranlable, Philippe ; n’insiste plus.
En effet, jamais Marcof ne changea de façon de penser, et rien de ce que je pus faire ne le ramena à d’autres sentiments. Bientôt même je crus m’apercevoir que le séjour du château commençait à lui devenir à charge. Je le lui dis.
– Cela est vrai, me répondit-il naïvement ; j’aime la mer, les dangers et les tempêtes ; je ne suis pas fait pour vivre paisiblement dans une chambre. Il me faut le grand air, la brise et la liberté.
– Tu veux partir, alors ?
– Oui.
– Mais ne puis-je rien pour toi ?
– Si fait, tu peux me rendre heureux.
– Parle donc !
– Je refuse la fortune et les titres que tu voulais me donner ; mais j’accepte la somme qui m’est nécessaire pour fréter un navire, engager un équipage et reprendre ma vie d’autrefois.
– Fais ce que tu voudras, lui répondis-je ; ce que j’ai t’appartient.
Le lendemain Marcof partit pour Lorient. Il acheta un lougre qu’il fit gréer à sa fantaisie, et trois semaines après, il mettait à la voile. Nous fûmes deux ans sans nous revoir. Pendant cet espace de temps, il avait parcouru les mers de l’Inde et fait la chasse aux pirates. Puis il retourna en Amérique et continua cette vie d’aventures qui semble un besoin pour sa nature énergique.
Chaque fois qu’il revenait et mouillait, soit à Brest, soit à Lorient, il accourait au château. Enfin, il finit par adopter pour refuge la petite crique de Penmarckh. Lorsque les événements politiques commencèrent à agiter la France et à ébranler le trône, Marcof se lança dans le parti royaliste. C’est là, chère Julie, où nous en sommes, et voici ce que je connais de l’existence et du caractère de mon
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