Marcof-le-malouin
pensée d’en finir d’un seul coup avec cette existence horrible et de se donner la mort. La vue de Julie priant à ses côtés le retint.
Jocelyn, en proie aux terreurs les plus vives, conjurait son maître de fuir promptement sans tarder d’un seul instant.
– Fuir ! répondit enfin le marquis. Où irai-je ? Chacun me connaît dans la province ! Je ne ferai pas cent pas en plein soleil sans être salué par une voix amie. Oh ! si Marcof était à Penmarckh, je n’hésiterais pas ! J’irais lui demander un refuge à bord de son lougre !
– Écoutez-moi, Philippe, dit la religieuse en se relevant, Dieu vient de m’envoyer une inspiration. Voici ce que vous devez, ce que vous allez faire : Je vous ai dit que, seule dans le pays, une vieille fermière connaissait mon séjour dans l’abbaye. Cette femme m’est entièrement dévouée. Je puis avoir toute confiance en elle et la rendre dépositaire du secret de toute ma vie. Elle se mettra avec empressement à mes ordres et consentira à faire tout ce qui dépendra d’elle pour nous être utile, j’en suis certaine. Grâce à la nuit épaisse qu’il fait au dehors, nous pouvons encore sortir tous trois sans être vus. Nous nous rendrons chez elle. Son fils est pêcheur et habite la côte voisine, près d’Audierne. Vous vous embarquerez avec lui. Vous gagnerez promptement les îles anglaises, et une fois là, vous serez en sûreté.
– Et vous, Julie ? demanda le marquis.
– Moi, mon ami, une fois assurée de votre départ, je reviendrai ici.
– Ici !… oh ! je ne le veux pas !
– Pourquoi, Philippe ?
– Mais ce serait vous mettre entre les mains de ces misérables ! Vous ne savez pas, comme moi, de quoi ils sont capables !
– Qu’ai-je à craindre ?
– Tout !
– Ils ne me connaissent pas.
– Qu’en savez-vous ? Leur intérêt étant de vous connaître, ils vous devineront.
– Qu’importe ?
– Non ! encore une fois ! Je fuirai, mais à une condition.
– Laquelle ?
– Vous m’accompagnerez en Angleterre.
– Cela ne se peut pas, Philippe.
– Alors, je reste !
– Philippe ! je vous en conjure ! s’écria la religieuse désolée. Partez ! consentez à fuir !
– Jamais, tant que vous serez exposée, Julie !
– Eh bien ! je vous promets de demeurer quelques jours chez la fermière. Je ne reviendrai à l’abbaye que lorsqu’elle sera de nouveau solitaire.
– Non ! je ne pars pas sans vous !
– Mon Dieu ! mon Dieu ! vous voyez qu’il me contraint à abandonner votre maison ! dit la religieuse en levant les mains vers le ciel.
– Dieu nous voit, Julie ; il m’absout !
– Eh bien ! partons, alors ! reprit Julie avec une expression de résolution sublime.
Jocelyn se dirigea vers les souterrains.
– Non ! dit vivement la religieuse ; peut-être y sont ils déjà. Partons par le cloître.
Jocelyn obéit. Tous trois prirent alors la route qu’il avait parcourue lui-même quelques minutes auparavant. Pour plus de précaution, Jocelyn sortit seul d’abord. Il s’assura que le cloître était désert. Puis il revint prévenir le marquis et Julie.
Cette fois, seulement, ils ne traversèrent pas la cour, ainsi que l’avait fait le vieux serviteur. La religieuse leur fit suivre les arcades, et bientôt ils atteignirent le jardin du couvent qu’ils parcoururent avec mille précautions dans toute sa longueur. À l’extrémité de ce petit parc, Julie se dirigea vers une petite porte qu’elle ouvrit et qui donnait sur la campagne.
Tous trois franchirent le seuil. Une véritable forêt de genêts hauts et touffus se présenta devant eux. Ils s’y engagèrent, certains d’être ainsi à l’abri des poursuites. Puis Julie, leur indiquant la route, se mit en devoir de les conduire à la demeure de la paysanne dont elle leur avait parlé. La Providence avait abandonné la pauvre Yvonne.
Depuis plus de deux heures, la malheureuse enfant était demeurée dans la même position. Étendue sur le sol humide, dévorée par une fièvre brûlante, en proie à un délire épouvantable, sans voix et sans force, elle se mourait. Aucun espoir de secours n’était admissible.
XII – LE POISON DES BORGIA.
Dans cette chambre si brillamment éclairée qui, en attirant l’attention de Jocelyn, avait été cause de la découverte de la présence des beaux-frères et de la première femme de son maître dans l’abbaye de Plogastel ; dans cette chambre,
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