Marcof-le-malouin
couvert de Raphaël. Les deux hommes n’avaient rien vu.
Diégo paraissait absorbé plus que jamais dans la contemplation de son compagnon, et celui-ci, pâle et la bouche crispée, était incapable de voir ni d’entendre. Le poison opérait rapidement, car la physionomie du chevalier se décomposait à vue d’œil.
Cependant le malaise parut se dissiper un peu. Raphaël respira bruyamment, et, se relevant, essaya de gagner la porte ; mais une nouvelle faiblesse s’empara de lui et le fit retomber sur un siège. Il passa la main sur son front humide de sueur.
– Oh ! murmura-t-il, j’ai la poitrine qui me brûle !
– Veux-tu boire ? demanda Diégo.
Raphaël ne répondit pas. Diégo s’avança vers la table, prit un verre qu’il remplit encore de syracuse, et le présenta à Raphaël. Celui-ci tendit la main et leva les yeux sur son compagnon. Puis une pensée subite illumina sa physionomie cadavéreuse. Il ouvrit démesurément les yeux, se redressa vivement en repoussant le verre, et saisissant le bras de Diégo :
– Pourquoi nous as-tu fait donner à chacun un flacon séparé de syracuse ? demanda-t-il d’une voix rauque. Pourquoi n’as-tu pas bu dans le mien ?
– Quelle diable de folie me contes-tu là ? répondit Diégo en souriant avec calme.
Mais Raphaël se précipitant vers la table, prit son verre, vida dedans ce qui restait du breuvage empoisonné placé devant lui, et l’offrant à Diégo :
– Bois ! lui dit-il.
– Je n’ai pas soif ! répondit le comte.
– Bois, te dis-je, je le veux !
– Au diable !
Et Diégo, d’un revers de main, fit voler le verre à l’autre bout de la pièce.
– Ah ! s’écria Raphaël dont l’expression de la physionomie devint effrayante. Ah ! tu m’as empoisonné !
– Tu es fou, Raphaël ! ne suis-je pas ton ami ?
– Tu m’as empoisonné ! Le flacon ? où est le flacon que Cavaccioli t’a donné ?
– C’est Hermosa qui l’a.
– Où est-il ? Je veux le voir !
– Pourquoi faire ?
– Ah ! je souffre ! je ne vois plus ! je brûle ! s’écria Raphaël en se tordant dans des convulsions horribles.
– Que faut-il faire ? demanda Hermosa à Diégo.
– Attendre ! cela ne sera pas long !
– Tu vois bien que tu m’as empoisonné ! s’écria Raphaël, qui, avec cette perception mystérieuse des sens qui résulte en général de l’absorption d’un poison végétal, avait entendu ces paroles. Tu m’as empoisonné ! continua-t-il en tirant son poignard ; mais nous allons mourir ensemble !
Et Raphaël essaya de s’élancer sur Diégo, mais un nouvel éblouissement la cloua à la même place. Hermosa s’était rapprochée de la porte.
– Va-t’en ! lui dit vivement Diégo, va-t’en ! et empêche Jasmin de pénétrer jusqu’ici.
Hermosa obéit avec un empressement visible.
– Si Raphaël pouvait le tuer avant de mourir ! murmura-t-elle en entrant dans une pièce voisine.
Là, s’agenouillant sur un prie-Dieu :
– Sainte madone ! exaucez ma prière ! dit-elle avec onction ; je promets une robe de dentelle à la vierge de Reggio !
Raphaël s’était relevé. Rassemblant ses forces, et soutenu par la suprême énergie du désespoir, par le désir de la vengeance, par la volonté d’entraîner avec lui son meurtrier dans la tombe, il marcha vers Diégo. Celui-ci connaissait trop la violence du poison qu’il avait fait prendre à Raphaël pour douter de son efficacité. Aussi ne cherchait-il qu’à gagner du temps.
Alors commença entre ces deux hommes un combat horrible à voir. L’un fuyait en se faisant un rempart de chaque meuble. L’autre, pâle, haletant, se soutenant à peine trébuchant devant chaque obstacle, essayait en vain d’atteindre son ennemi.
Le silence le plus profond régnait dans la pièce. On entendait seulement la respiration de chacun, l’une sifflante avec bruit, l’autre égale et sonore.
Diégo renversa avec intention les candélabres placés sur la table encore toute servie. L’obscurité ajouta à l’horreur de la situation. Devinant que son adversaire n’avait renversé les flambeaux que pour gagner plus facilement la porte de sortie et fuir, Raphaël s’appuya immobile contre le chambranle, serrant le manche de son poignard entre ses doigts humides et crispés.
Diégo fit quelques pas, se tenant toujours sur la défensive. Il avait pris sur la table un long couteau à lame courte et acérée qui avait servi à
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