Marcof-le-malouin
appréciations. Maintenant que nous sommes seuls, oublie un moment la belle Yvonne, tu as trop d’esprit, et tu n’es plus assez jeune pour sacrifier ton intérêt à l’amour. Or, il s’agit de notre fortune, Diégo ! de notre fortune que la mort de Philippe nous a enlevée tout à coup, et qu’il dépend de moi de nous rendre ! Ah ! tu es devenu attentif ? Tu m’écoutes, maintenant !
– Sans doute ! tu m’intrigues énormément. Parle vite.
– Oh ! mon projet sera court à expliquer.
– Je t’écoute.
– La mort du marquis est tellement récente, continua Hermosa, qu’elle est à peine connue dans cette partie de la province, et que bien certainement on l’ignore à vingt lieues.
– Ceci est incontestable.
– Tu te rappelles, Diégo, lors de notre arrivée à Rennes, jadis ce que nous avons entendu dire de l’amour de Julie de Château-Giron pour Philippe de Loc-Ronan ?
– On prétendait cet amour fort sérieux.
– Et l’on ne se trompait pas ! Ce qui a déterminé la nouvelle marquise à prendre le voile a été la pensée de rendre le repos à son époux, croyant le mettre ainsi à l’abri de nos poursuites. Tu avoueras qu’elle se sacrifiait. Or, une femme qui, jeune et jolie, renonce au monde pour l’amour d’un homme, cette femme-la, ferait à plus forte raison, le sacrifice de sa fortune pour assurer la tranquillité de ce même homme ?
– Puissamment raisonné ! interrompit Diégo.
– Julie de Château-Giron a perdu son père il y a quatre mois.
– Comment sais-tu cela ?
– Que t’importe ?
– Tu as donc des espions partout ?
– Peut-être bien !
– Allons ! tu es bien décidément d’une force remarquable ! dit Diégo en baisant la main de sa compagne.
Il avait entièrement oublié Yvonne.
XIII – LES PROJETS D’HERMOSA.
– Tu disais donc, reprit Diégo après quelques instants, que Julie de Château-Giron avait perdu son père il y a quatre mois ?
– Oui.
– Mais elle était fille unique, si j’ai bonne mémoire ?
– En effet, tu ne te trompes pas.
– Alors elle a hérité ?…
– De trois millions environ.
– Elle les a donnés à sa communauté ? demanda vivement Diégo.
– Non.
– Qu’en a-t-elle fait ?
– Elle a donné cinq cent mille livres au couvent dans lequel elle résidait, et dont j’ignore le nom.
– Et le reste ?
– Le reste, c’est-à-dire deux millions cinq cent mille livres, est demeuré à Rennes entre les mains de son notaire.
– Qu’en fera-t-elle ?
– Elle veut en disposer en faveur du marquis.
– Qui t’a donné tous ces détails ?
– L’intendant de la Bretagne qui a été destitué dernièrement.
– C’est donc cela que tu le recevais si fréquemment à Paris ? fit Diégo avec un sourire.
– Sans doute.
– Alors, tu es certaine de ce que tu me dis ?
– J’en réponds !
– Et que conclus-tu ?
– Tu ne devines pas ?
– Pas précisément, je l’avoue.
– Je te croyais de l’esprit.
– Suppose que j’en manque, et explique-toi.
– C’est bien simple.
– Mais, encore, qu’est-ce que c’est ?
– Il faut d’abord connaître le nom du couvent où s’est retirée Julie.
– Nous saurons cela facilement à Rennes, dit Diégo. Au pis-aller, nous interrogerions le notaire lui-même sous un prétexte quelconque. Bref, je m’en charge ! Après ?
– Tu dois te faire une idée de la terreur qu’inspirent seulement nos noms à la marquise ?
– Parbleu !
– Tu avoueras aussi qu’elle doit ignorer encore la mort de son époux ?
– Je le crois.
– Donc, tu iras la trouver hardiment.
– Bien ; j’irai.
– Tu demanderas à lui parler en particulier. Au besoin, j’obtiendrai la permission.
– Ensuite ?
– Tu lui diras que nous sommes décidés à faire un éclat…
– Si elle n’abandonne pas entre nos mains les deux millions cinq cent mille livres ? interrompit Diégo.
– Précisément.
– Elle les abandonnera, Hermosa ; elle les abandonnera !
Et Diégo marcha avec agitation dans la chambre en se frottant les mains avec joie.
– Admirable ! s’écria-t-il tout à coup en s’arrêtant devant sa compagne, admirable ! Tu es un génie !
– Tu approuves mon projet ?
– Je le trouve sublime.
– Et tu le mettras à exécution ?
– Sur l’heure !
– Donc nous partons ?
– Cette nuit même !
– Et la Bretonne ? demanda Hermosa
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