Marcof-le-malouin
cette nuit à Penmarckh, murmura-t-il, et je dirai à Keinec que j’en ai eu besoin… Le gars ne se doutera de rien.
En parlant ainsi, Carfor se dirigeait vers la grotte, lorsqu’il s’arrêta tout à coup. La branche de résine dont Keinec s’était servi pour pénétrer dans la grotte avec Marcof, et que le jeune marin avait jetée à terre sans prendre soin de la remettre dans le brasier, venait de frapper les regards de Carfor. Son intelligence, toujours prompte à soupçonner, lui dit qu’il fallait que quelqu’un fût venu, pour que cette branche aux trois quarts brûlée fût éloignée de plus de cent pas du feu qu’il avait laissé allumé toute la nuit pour faire croire à sa présence.
– Qui donc est venu ? se demanda-t-il. Le comte et le chevalier, Billaud-Varenne et Keinec, sont les seuls qui eussent osé, à dix lieues à la ronde, s’aventurer la nuit dans la baie des Trépassés ! Or, je quitte à l’instant le comte et le chevalier ; Billaud-Varenne est à Brest. Keinec n’avait pas son canot ! Qui donc serait-ce ?
Carfor réfléchit longuement ; puis il se frappa le front et pâlit.
– Marcof ! murmura-t-il ; Marcof, peut-être !
– Tu ne te trompes pas, répondit une voix rude.
Carfor se retourna vivement et tressaillit. Marcof était debout entre le berger et le canot.
– Que me veux-tu ? demanda Carfor.
– Te parler.
– À moi ?
– En personne.
– Pourquoi ?
– Tu le sauras.
– Je ne veux pas t’entendre.
– Tu n’en es pas le maître.
– Tu as donc résolu de me contraindre.
– Certainement.
– Mais…
– Assez.
Et Marcof se retournant :
– Venez, dit-il.
Jahoua et Keinec parurent. En voyant Keinec, la physionomie de Carfor exprima une joie réelle.
– Ah ! pensa le berger, Keinec est ici ; il est fort : tout n’est pas perdu.
Et s’adressant à Marcof :
– Encore une fois, dit-il, que me veux-tu ?
– Entrons dans la grotte, tu le sauras.
Carfor obéit, et marcha vers sa demeure dans laquelle il pénétra. Marcof et ses deux compagnons l’y suivirent pas à pas. Marcof prit pour siége un quartier de rocher. Keinec et Jahoua se tinrent debout à l’entrée de la grotte. Carfor promenait autour de lui un regard sombre et résolu ; il attendait que Marcof lui adressât la parole.
– D’où viens-tu ? lui dit le marin.
– Que t’importe ?
– Je veux le savoir.
– De quel droit m’interroges-tu ?
– Du droit qu’il me plaît de prendre, et, si tu le veux, du droit du plus fort.
– Je ne te comprends pas !
– C’est ton dernier mot ?
– Oui.
– Réfléchis !
– Inutile !
– Très-bien ! dit froidement Marcof.
– Carfor ! s’écria Keinec en s’avançant, il faut que tu parles !
– Qu’as-tu fait d’Yvonne ? demanda Jahoua en même temps.
Le jour qui naissait à peine n’avait pas jusqu’alors permis à Carfor de distinguer les traits du second compagnon de Marcof. Terrifié par la subite apparition du marin qu’il redoutait et savait son ennemi, le berger ne s’était remis de son trouble qu’en reconnaissant Keinec dont il espérait un secours. Mais, en voyant tout à coup Jahoua, qu’il croyait mort, car il n’avait pas douté un seul instant que Keinec ne l’eût tué, en voyant le fermier, disons-nous, ses yeux exprimèrent malgré lui ce qui se passait dans son âme. Marcof sourit ironiquement.
– Tu ne t’attendais pas à les voir ensemble, n’est-ce pas ? dit-il.
Carfor garda le silence. Alors Marcof s’adressant aux deux jeunes gens :
– Laissez-moi faire, continua-t-il, et gardez l’entrée de la grotte ; je vous l’ordonne.
Keinec et Jahoua se reculèrent, tandis que Marcof, se tournant vers Carfor, reprenait :
– Encore une fois, veux-tu répondre aux questions que je vais t’adresser ?
– Non !
– Tonnerre ! tu parleras, cependant.
Marcof prit un bout de corde qui gisait à terre, et, sans ajouter un seul mot, il le coupa en deux à l’aide d’un poignard qu’il tira de sa ceinture. Cela fait, il répandit un peu de poudre sur un rocher, et roula dedans le bout de la corde qu’il convertit ainsi en mèche.
– Pour la troisième fois, fit-il encore en s’adressant à Carfor, veux-tu répondre !
Le berger détourna la tâte.
– Garrottez-le ! ordonna le marin.
Jahoua et Keinec se précipitèrent sur Carfor. Le misérable voulut opposer de la résistance, mais, terrassé en une
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