Marcof-le-malouin
seconde, il fut bientôt mis dans l’impossibilité de faire un seul mouvement. Les deux hommes lui tinrent solidement les jambes et les bras.
– Attachez-lui les mains, continua Marcof impassible ; seulement, laissez-lui les pouces libres… Là, continua-t-il en voyant ses ordres exécutés. Maintenant, Keinec, prends ce bout de mèche et place-le entre ses pouces ; mais serre vigoureusement, que la corde entre bien dans les chairs.
Keinec s’empressa d’obéir. Lorsque les deux pouces de Carfor furent liés ensemble, de façon que la mèche se trouvât prise entre eux et passât de quelques lignes, Marcof tira un briquet de sa poche, fit du feu et approcha l’amadou allumé du bout de corde. Le feu se communiqua rapidement à la poudre dont la mèche était saupoudrée.
– Attendons un peu maintenant, reprit Marcof d’une voix parfaitement calme. Le drôle va parler tout à l’heure, et il sera aussi bavard que nous le voudrons.
Carfor sourit avec incrédulité.
– De plus solides que toi ont demandé grâce à ce jeu-là !… continua le marin en reprenant sa place. Demande à Keinec, il connaît l’invention pour l’avoir vu pratiquer en Amérique parmi les peuplades sauvages. Tu souris, à présent, mais quand les chairs commenceront à griller lentement, tu parleras, et même tu crieras.
Keinec et Jahoua frémissaient d’impatience. Marcof les calma du geste. Les deux jeunes gens se rappelant le serment d’obéissance qu’ils avaient fait à leur compagnon, n’osaient exprimer toute leur pensée, mais ils trouvaient la torture trop longue, car tous deux songeaient à Yvonne et à ce que la pauvre enfant pouvait être devenue. Pendant quelques minutes, le plus profond silence régna dans la grotte. Puis Carfor ne put retenir un soupir.
– Cela commence ! fit observer Marcof. Je savais bien que le procédé était infaillible.
En effet, l’extrémité de la mèche s’était consumée et la corde commençait à brûler plus lentement encore les pouces du berger. Suivant l’expression de Marcof, la chair grillait sous l’action du feu. La peau se noircit et la chair vive se trouva en contact avec la mèche enflammée. La souffrance devait être horrible. La figure de Carfor, pâle comme un linceul, s’empourprait par moments, et les veines de son cou et de son front se gonflaient à faire croire qu’elles allaient éclater. Une sueur abondante perlait à la racine des cheveux et inonda bientôt son visage. Sa bouche se crispa ; ses membres se roidirent. Marcof contemplait d’un œil froid les progrès de la douleur qui commençait à terrasser le sauvage Breton.
– Veux-tu parler ? dit-il.
Carfor le regarda avec des yeux ardents de haine.
– Non ! répondit-il.
– À ton aise ! nous ne sommes pas pressés.
– Si je le tuais ! s’écria Keinec.
– Silence ! fit Marcof en écartant le jeune homme qui s’était avancé.
La douleur devint tellement vive que Carfor ne put étouffer un cri.
– Au secours ! cria-t-il ; à moi !… à l’aide !…
– Crois-tu donc que quelqu’un soit ici pour t’entendre ? Tes amis les révolutionnaires ne sont pas là.
– À moi ! les âmes des Trépassés ! hurla le berger, Keinec et Jahoua tressaillirent. Marcof remarqua le mouvement.
– Nous ne croyons pas à tes jongleries, se hâta-t-il de dire. Inutile de jouer au sorcier, entends-tu ? Tes contes sont bons pour effrayer les enfants et les femmes, mais nous sommes ici trois hommes qui ne craignons rien. N’est-ce pas, mes gars ?
– Dis-nous où est Yvonne ? fit Keinec en secouant le berger par le bras.
– Laisse-le ! il te le dira tout à l’heure, répondit Marcof.
Carfor, en proie à la douleur, se roulait par terre dans des convulsions effrayantes.
– Il ne parlera pas ! fit Jahoua.
– Bah ! continua Marcof en haussant les épaules. J’ai vu des Indiens qui n’avaient la langue déliée qu’à la troisième mèche, et j’ai de quoi en faire deux autres.
– Déliez-moi ! déliez-moi ! s’écria Carfor.
– Tu parleras ?
– Oui !
– Tu diras la vérité ?
– Oui !
– Détache la mèche, Jahoua.
Le fermier trancha les liens d’un coup de couteau. Carfor poussa un soupir et s’évanouit.
– Va chercher de l’eau, Keinec, continua froidement Marcof.
Mais avant que le jeune homme ne fût revenu, le berger avait rouvert les yeux. Marcof alors procéda à l’interrogatoire.
– Tu sais
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