Marcof-le-malouin
la forêt de Plogastel. Nous y trouverons M. de La Bourdonnaie.
– M. de La Bourdonnaie ! s’écria Jahoua avec, étonnement et respect.
– Lui-même. Je viens de le voir, et c’est lui qui arrêtera ceux que nous cherchons, s’ils parviennent à nous échapper.
– Voici le jour, dit Keinec en désignant l’horizon.
– Et une barque qui double le promontoire, ajouta Marcof.
– C’est Carfor, sans doute, dit Jahoua.
– Est-ce ton canot, Keinec ?
– Non.
– Alors, ce n’est pas le berger.
– Attends, Marcof ! fit brusquement le jeune homme en arrêtant le marin par le bras. Voici une seconde barque, et cette fois c’est la mienne.
– Allons, tout va bien ! répondit Marcof.
– Que devons-nous faire ?
– Gagner la grotte et attendre. Nous le prendrons dans son terrier, dit vivement Jahoua.
– Oh ! nous avons le temps, mon gars ; Carfor a la marée contre lui. Il n’abordera pas avant deux heures d’ici.
– Demeurons dans notre embarcation. Nous sommes cachés par le rocher. Dès qu’il sera à terre, nous pourrons lui couper la retraite.
– Bien pensé, Keinec ! et nous ferons comme tu le dis, répondit Marcof.
Les trois hommes effectivement entrèrent dans leur canot et attendirent. À l’horizon, à la lueur des premiers rayons du jour naissant, on voyait un point noir se détacher sur les vagues ; mais il fallait l’œil exercé d’un marin pour reconnaître une barque.
Le moment où Keinec avait signalé l’arrivée du canot monté par Carfor, du moins il le supposait, ce moment, disons-nous, correspondait à peu près à celui de l’entrée de Raphaël et de Diégo dans l’abbaye de Plogastel ; car nos lecteurs se sont aperçus sans doute que pour revenir à Marcof et à ses deux compagnons, nous les avions fait rétrograder de vingt-quatre heures. Keinec ne s’était pas trompé dans la supposition qu’il avait faite. C’était effectivement Ian Carfor qui, après avoir quitté le comte de Fougueray et le chevalier de Tessy près d’Audierne, avait remis à la voile pour regagner la baie des Trépassés.
Après avoir doublé le promontoire, le vent changeant brusquement de direction et venant de terre, le sorcier s’était vu contraint de carguer sa voile et de prendre les avirons. Aussi avançait-il lentement, et Marcof n’avait-il pas eu tort en annonçant à Jahoua que celui qu’ils attendaient tous trois ne toucherait pas la terre avant deux heures écoulées.
Carfor était seul dans le canot. Ramant avec nonchalance, il repassait dans sa tête les événements de la nuit dernière. De temps en temps il laissait glisser les avirons le long du bordage de la barque, et portait la main à sa ceinture, à laquelle était attachée la bourse que lui avait donnée le chevalier. Il l’ouvrait, contemplait l’or d’un œil étincelant, y plongeait ses doigts avides du contact des louis, et un sourire de joie illuminait sa physionomie sinistre. Puis il reprenait les rames, et gouvernait vers le fond de la baie.
– Cent louis ! murmurait-il ; cent louis d’abord, sans compter ce que j’aurai encore demain. Ah ! si l’on pouvait acheter des douleurs avec de l’or, comme je viderais cette bourse pour songer à ma vengeance. Que je les hais ces nobles maudits ! Quand donc pourrais-je frapper du pied leurs cadavres sanglants ? Billaud-Varenne et Carrier me disent d’attendre ! Attendre ! Et qui sait si je vivrai assez pour voir luire ce jour tant souhaité ! Keinec a-t-il suivi mes instructions ? reprit-il après quelques minutes de silence. Aura-t-il tué Jahoua ? Oh ! si cela est Keinec m’appartiendra tout à fait. Le sang qu’il aura versé sera le lien qui l’unira à moi, et alors je le ferai agir. Il me servira, lui !… il frappera pour moi !
La quille du canot s’enfonçant dans le sable fin qui couvrait les bas-fonds de la baie, vint, en rendant l’embarcation stationnaire, interrompre le cours des pensées du sorcier breton. Il abordait.
Marcof s’avança doucement dans l’ombre, guettant l’instant favorable pour se placer entre Carfor et la mer, tandis que ses deux compagnons gagnaient chacun l’un des sentiers des falaises, afin de couper tout moyen de fuite à celui qu’ils supposaient avec raison avoir contribué à l’enlèvement d’Yvonne.
XVI – LES TORTURES.
Carfor sauta à terre et amarra soigneusement le canot à un gros piquet enfoncé sur la plage.
– Je le ramènerai
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