Marcof-le-malouin
conversation… Si nous vous avons rappelé un passé peu agréable, c’était afin d’établir le présent sur de solides bases… Or, le présent, le voici : Vous avez deux femmes. L’une, Marie-Augustine de Fougueray, qui habite Paris sous un nom d’emprunt, suivant nos conventions, vous le savez. L’autre, Julie-Antoinette de Château-Giron, laquelle, en apprenant l’étrange position que vous lui aviez faite, a voulu se retirer du monde et s’enfermer dans un cloître. Vous et la famille de cette femme aviez trop d’intérêt à étouffer l’affaire pour que l’on essayât de s’opposer à ses volontés. Bref, vous avez en ce moment deux femmes, marquis de Loc-Ronan, et deux femmes bien vivantes. Or, la polygamie, vous le savez, a toujours été un cas pendable en France, et la pendaison une vilaine mort pour un gentilhomme !
– Allez droit au fait, interrompit encore le marquis, quelle somme vous faut-il aujourd’hui ?
– Aucune, répondit le chevalier.
– Aucune, appuya le comte.
Le seigneur de Loc-Ronan demeura un moment interdit.
– Que voulez-vous donc ? demanda-t-il lentement.
– Écoutez le chevalier, et vous allez le savoir.
– Soit ! parlez vite.
– Je m’explique en quelques mots, fit le chevalier en s’inclinant avec cette politesse railleuse qui ne l’avait pas abandonné un seul moment durant cette longue conversation. Nous avons pensé, mon frère et moi, qu’il serait fâcheux que le vieux nom de Loc-Ronan vînt à s’éteindre. Or, vous avez deux femmes, c’est un fait incontestable ; mais d’enfants, point ! Eh bien ! celle lacune qui doit assombrir un peu vos pensées, nous avons résolu de la combler… À partir de ce jour, vous allez être père. Vous comprenez ?
– Nullement.
– Allons donc ! impossible ?
– Je ne comprends pas le sens de vos paroles, je le répète, et je vous serai fort reconnaissant de bien vouloir me l’expliquer.
– Eh ! s’écria le comte avec impatience, notre sœur est votre femme, n’est-il pas vrai ?
– C’est possible.
– Nul arrêt de parlement n’a annulé votre mariage ; elle peut reprendre votre nom demain, si bon lui semble…
– Je le reconnais.
– Et vous connaissez sans doute aussi certaine axiome en droit romain qui dit : Ille pater est, quem nuptiæ demonstrant ?
– Vraiment, je crois que je commence à comprendre, fit le marquis en conservant un calme et une froideur bien étranges chez le fougueux gentilhomme.
– C’est, pardieu, bien heureux !
– N’importe, achevez !
– Donc, si votre femme est mère, vous, marquis, vous êtes père ! Voilà !
– Ainsi donc, monsieur le comte de Fougueray, ainsi donc, monsieur le chevalier de Tessy, ce que vous êtes venus me proposer à moi, marquis de Loc-Ronan, c’est d’abriter sous l’égide de mon nom ce fruit honteux d’un infâme adultère ? c’est de consentir à admettre dans ma famille, à donner pour descendant à mes aïeux l’enfant né d’un crime, le fils d’une courtisane ; car votre sœur, messieurs, n’est qu’une courtisane, et vous le savez comme moi !…
En parlant ainsi d’une voix brève et sèche, le marquis, les bras croisés sur sa large poitrine, dardait sur ses interlocuteurs des regards d’où jaillissait une flamme si vive qu’ils ne purent en supporter l’éclat. Les misérables courbèrent un moment la tête. Cependant le comte se remit le premier, et répondit avec un sourire :
– Eh ! mon cher marquis !… vous forgez de la tragédie à plaisir ! Qui diable vous parle du fruit d’un adultère ? Je vous ai dit : Supposez ! Je ne vous ai pas dit : Cela est ! Bref, voici la vérité : Il existe, de par le monde, un enfant mâle âgé de huit ans, bien constitué, et beau comme un Amour de Boucher ou de Watteau. À cet enfant, le chevalier et moi nous nous intéressons vivement. Or, il est orphelin. Pour des raisons qu’il ne nous plaît pas de vous communiquer, nous ne pouvons personnellement rien pour lui. Il faut donc que vous nous veniez en aide. Voici ce que vous aurez à faire. Adopter cet enfant, et le reconnaître comme un fils issu de votre mariage avec Marie-Augustine. Lui transmettre votre nom et votre fortune, à l’exception d’une rente viagère de douze mille livres que vous vous conserverez. Enfin, nous nommer, le chevalier et moi, tuteurs de votre fils. Mais l’acte doit être fait de telle sorte que nous ayons la libre et
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