Marcof-le-malouin
Fougueray, bien décidé à changer en réalité le conte dont vous veniez très-spirituellement de faire part à vos domestiques. Je vous le répète, c’était bien joué !… C’était tout bonnement de première force !… Nous devons reconnaître, et nous reconnaissons, croyez-le, qu’il vous était impossible de supposer un seul instant que le désir de voir notre sœur nous eût fait faire le voyage de Quimper, que l’épouse outragée nous rencontrât à quelques lieues à peine de ce château, et qu’elle nous racontât ce qui venait de se passer…
« Mais je le dis encore, marquis, vous ne pouviez savoir cela ; de sorte qu’arrivé à Fougueray par une nuit sombre, vous vous fîtes indiquer la porte du presbytère. Le vieux prêtre qui avait célébré votre union l’habitait seul avec une servante. Intimidé par votre rang, convaincu surtout par vos pistolets, il consentit à vous laisser arracher du registre de la paroisse la feuille sur laquelle votre mariage se trouvait inscrit.
« Cela était d’autant mieux imaginé, que, sur les quatre témoins signataires, deux, le chevalier et moi, ne pouvions rien prouver en justice en raison de notre proche degré de parenté avec la victime, et que les deux autres étaient morts… Donc, la feuille enlevée, rien n’existait plus… La marquise de Loc-Ronan n’était désormais que mademoiselle de Fougueray. Vous affirmiez qu’elle avait été votre maîtresse et non votre femme ; personne ne pouvait prouver le contraire… Aussi, comme vous étiez joyeux en reprenant la route de votre château ! Vous étiez dégagé d’un lien qui commençait à vous peser ; vous étiez libre !
– Ne dites pas cela, monsieur, interrompit le marquis avec émotion ; à l’époque dont vous parlez, Dieu sait bien que j’aimais encore votre sœur ! Oui, je l’aimais. Il a fallu, pour arracher cet amour de mon cœur, toutes les heures de jalousie, de tortures, d’angoisses, dont celle que vous défendez s’est montrée si prodigue à mon égard !… Il a fallu le déshonneur menaçant mon nom jusqu’alors sans tache, la boue prête à souiller l’écusson de mes ancêtres, pour me contraindre à un acte qu’aujourd’hui je réprouve !… Au reste, Dieu n’a pas voulu que l’accomplissement du forfait eût lieu dans toute son étendue, puisqu’il avait permis que, dans une intention que j’ignore, et avec cette prescience infernale qui n’appartient qu’à vous, vous eussiez pris d’avance le double de cet acte maudit !
– Dame ! cher marquis ! répondit le comte en souriant, nous avons joué au plus fin et vous avez perdu. Enfin, je reprends les choses où nous les avons laissées : lorsque vous partîtes de Fougueray, vous crûtes être libre, si bien libre même, et si peu marié que, deux années plus tard, à Rennes, vous vous épreniez d’amour pour une charmante jeune fille, et que, n’ayant aucunement entendu parler de votre ex-femme ni de vos ex-beaux-frères, vous pensâtes qu’en toute sécurité vous pouviez suivre les inspirations de votre cœur… Ce qui signifie que trente et un mois après votre séparation violente d’avec Marie-Augustine de Fougueray, vous devîntes l’époux heureux de Julie-Antoinette de Château-Giron.
« Rendez-nous la justice d’avouer que nous vous laissâmes jouir en paix des charmants délices de la lune de miel. Mais aussi quel réveil, lorsqu’après quelques semaines d’un bonheur sans nuages, du moins je me plais à penser qu’il fut tel, vous vous trouvâtes tout à coup face à face avec la première marquise de Loc-Ronan ; lorsque, poussé sans doute par votre mauvais génie, vous voulûtes faire jeter notre sœur à la porte de l’hôtel que vous habitiez à Rennes, et qu’elle vous jeta, elle, son acte de mariage à la face !…
– Assez, misérable ! s’écria le marquis avec une telle violence, que les deux interlocuteurs se levèrent spontanément, croyant à une attaque ; assez ! Osez-vous me rappeler ces heures douloureuses, vous qui ne songiez, au moment où vous me brisiez le cœur, qu’à exploiter ce secret au détriment de ma fortune et au profit de la vôtre ? Rappelez-vous les sommes immenses que vous m’avez arrachées pour vous faire payer votre douteux silence !…
– Il ne s’agit pas de nous, mais de vous, interrompit le chevalier ; et permettez-moi de vous faire observer que les grandes phrases inutiles ne feront qu’allonger la
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