Marcof-le-malouin
d’observation, Jocelyn. Les gens du château vont s’éveiller, et ils ne doivent pas nous trouver debout si matin. Je rentre dans mes appartements. Tu monteras à huit heures.
Jocelyn s’inclina et le marquis gagna la chambre où se trouvait le portrait de vieillard que Marcof avait embrassé en partant cette même nuit.
IX – DIÉGO ET RAPHAEL.
Le chevalier de Tessy et le comte son frère s’étaient éloignés assez vivement du château, se retournant de temps à autre comme s’ils eussent craint d’entendre siffler à leurs oreilles quelques balles de mousquet ou de carabine. Arrivés au bas de la côte, ils frappèrent à la porte d’une humble cabane, laquelle ne tarda pas à s’ouvrir. Un domestique parut sur le seuil. En apercevant les deux gentilshommes, il salua respectueusement, courut à l’écurie, brida deux beaux chevaux normands auxquels on n’avait point enlevé la selle, et, les attirant à sa suite, il les conduisit vers l’endroit où les deux gentilshommes attendaient. Le chevalier se mit en selle avec la grâce et l’aisance d’un écuyer de premier ordre. Le comte, gêné par un embonpoint prononcé, enfourcha néanmoins sa monture avec plus de légèreté qu’on n’aurait pu en attendre de lui.
– Picard, dit-il au valet qui lui tenait l’étrier, vous allez retourner à Quimper. – Vous direz à madame la baronne, que nous serons de retour demain matin seulement.
Le valet s’inclina et les deux cavaliers, rendant la bride à leurs montures, partirent au trot dans la direction de Penmarckh.
– Sang de Dieu ! caro mio ! fit le comte en ralentissant quelque peu l’allure de son cheval et en frappant légèrement sur l’épaule du chevalier, sang de Dieu ! carissimo ! nos affaires sont en bonne voie ! Que t’en semble ?
– Il me semble, Diégo, répondit le chevalier en souriant, que nous tenons déjà les écus du bélître !
– Corps du Christ ! nous les aurons entre les mains avant qu’il soit huit jours.
– Il adoptera Henrique, n’est-ce pas ?
– Certes !
– Hermosa va nager dans la joie !…
– Ma foi ! je lui devais bien de lui faire ce plaisir, n’est-ce pas, Raphaël, à cette chère belle ?
– D’autant plus que cela nous rapportera beaucoup.
– Oui, carissimo ! et notre avenir m’apparaît émaillé de fêtes et d’amours.
– Nous quitterons Paris, j’imagine ?
– Sans doute.
– Et où irons-nous, Diégo ?
– Partout, excepté à Naples !
– Corpo di Bacco ! je le crois aisément. Quittons Paris, d’accord, on ne saurait trop prendre de précautions ; mais pourquoi fuir la France ?
– Parce que, après ce qui nous reste encore à faire dans ce pays, mon très-cher, nous ne serions pas plus en sûreté à Marseille, à Bordeaux ou à Lille qu’au centre même de Paris. Mon bon chevalier, nous irons à Séville, la cité par excellence des petits pieds et des beaux grands yeux, la ville des sérénades et des fandangos ! Grâce à notre fortune, nous y vivrons en grands seigneurs. Cela te va-t-il ?
– Touche-là, Diégo !… C’est convenu.
– Convenu et parfaitement arrêté.
– Et Hermosa ?
– Son fils aura un nom, elle touchera sa part de l’argent, ma foi, elle fera ce qu’elle voudra… Si elle souhaite venir avec nous, je n’y mettrai nul obstacle…
– Palsambleu ! la belle vie que nous mènerons à nous trois…
– En attendant, songeons au présent et veillons à ce qui se passe autour de nous ; car, tu le sais, chevalier, ce brave Marat est un ami précieux, mais il entend peu la plaisanterie en matière politique, et ma foi, à la façon dont tournent les choses, je pense toujours avec un secret frisson à cette ingénieuse machine de M. Guillotin, que l’on a essayée devant nous à Bicêtre, le 15 avril dernier, avec de si charmants résultats…
– Eh bien !… quel rapport établis-tu entre cette ingénieuse machine, comme tu l’appelles, et notre excellent ami Marat ?
– Eh ! c’est pardieu bien lui qui l’établit, ce rapport, puisqu’il répète à satiété dans ses conversations intimes qu’il faut faire tomber deux cent mille têtes. Or, l’invention de M. Guillotin arrivant tout à souhait pour réaliser son désir, je trouve la circonstance de fâcheux augure…
– Bah ! que nous importe qu’on fauche deux ou trois cent mille têtes, pourvu que les nôtres soient toujours solides sur nos épaules ? Allons,
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