Marcof-le-malouin
perdre de son aisance ordinaire.
– Parce qu’elle n’est pas d’un bon citoyen.
– Qu’en sais-tu ?
– Tu souhaites la rébellion de ce pays.
– Je la souhaite pour qu’il nous soit plus facile de connaître les traîtres, et par conséquent de les châtier.
– Bien répondu ! s’écria Ian Carfor. Celui-là est un bon !…
– C’est vrai, dit Billaud-Varenne. C’est le chevalier de Tessy, et je n’ignore pas les services qu’il nous a déjà rendus.
– Sans compter ceux qu’il peut rendre encore !
– Reprenez donc vos places, citoyens, et causons donc sérieusement, car, ainsi que vous l’a dit Ian Carfor, la situation est grave, et la guerre civile imminente. Déjà la Vendée se remue ; la Bretagne ne tardera pas à suivre son exemple…
Alors les quatre personnages enfermés dans l’étroite demeure du berger entamèrent une de ces longues conversations politiques, telles que pouvaient les avoir des amis de Marat et de Billaud-Varenne.
Le soleil était déjà haut sur l’horizon lorsque la séance fut levée. Au moment où les quatre hommes allaient se séparer, Billaud-Varenne s’adressa au berger.
– Ian Carfor, lui dit-il, tu nous as promis de nous tenir au courant des messages qui seraient échangés entre La Rouairie et Loc-Ronan ?
– Oui, je l’ai promis et je le promets encore, répondit le berger.
– Tu ne nous as pas expliqué par quels moyens tu parviendrais à te renseigner toi-même ?
– C’est bien simple. L’agent entre les deux marquis est Marcof.
– Oui ; mais Marcof n’est pas facile à exploiter…
– C’est possible, citoyen ; mais il a pour ami un garçon en qui il a une confiance absolue, et qui se nomme Keinec. Or, Keinec me dira tout, j’en réponds. Je le surveille à cet effet, et ce soir même il sera à moi.
– Très-bien ! Seconde-nous, sois fidèle, et la patrie se montrera reconnaissante, reprit Billaud-Varenne.
Puis, s’adressant aux deux gentilshommes, il ajouta :
– Adieu, citoyens : je pars, je vous laisse ; mais il est bien convenu que vous séjournerez encore trois mois dans ce pays. J’ai dans l’idée que le mois de septembre prochain nous sera favorable, à nous et à nos amis ; et si nous frappons un grand coup à Paris, il est urgent que dans les provinces il y ait des têtes et des bras qui nous soutiennent.
En disant ces mots, qu’il accentua par un geste énergique, le futur terroriste salua lestement les trois hommes et s’éloigna. Il gravit, non sans quelque difficulté, un petit sentier, moins escarpé cependant que celui par lequel étaient descendus le comte et le chevalier, et situé au flanc opposé de la baie. Arrivé sur la falaise, il se retourna, salua de la main une dernière fois, et prit, selon toute apparence, la direction de Quimper. À peine eut-il disparu, que le chevalier, pressant le bras du comte pour l’entraîner à l’écart, lui dit à voix basse :
– Est-ce que tu comptes lui obéir, Diégo, et rester ici encore trois mois ?
– Allons donc ! quelle plaisanterie ! Nous agirons pour notre compte et non pour le leur et pour celui de leur patrie bien-aimée, qu’ils ne songent qu’à ensanglanter.
– Donc, nous resterons ici ?…
– Tant que nous le jugerons convenable à nos intérêts.
– Et ensuite ?
– Nous partirons.
– À merveille.
– Or çà, très-cher, continua le comte de Fougueray, il me paraît que notre mission diplomatique est terminée et que nous n’avons plus rien à faire ici. Le soleil descend rapidement vers la mer ; mon estomac est creux comme le tonneau des Danaïdes, songeons un peu, s’il vous plaît, à regagner l’endroit où nous avons laissé nos chevaux et à trouver pour cette nuit bonne table et bon gîte !…
– Un instant, j’ai quelques mots à dire à Ian Carfor.
– Encore de la politique ?
– Non pas !
– Quoi donc ?
– Il s’agit d’amour, cette fois.
– Qu’est-ce que cette folie, chevalier ?
– Folie ou non, la petite Bretonne me tient fort au cœur !
– La Bretonne de ce matin ?
– Oui !
– Une paysanne !… fi !
– Je ne fais jamais fi d’une charmante créature ! Paysanne ou duchesse, je les estime autant l’une que l’autre, et, pour les femmes seulement, j’admets l’égalité absolue.
– L’égalité comme la comprend si bien ce bon M. de Robespierre ?…
– Précisément.
– Et tu crois que Carfor peut
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