Marcof-le-malouin
sa double lutte de la soirée, accourait vers lui.
– Où est Yvonne ? demanda vivement le fermier.
– Yvonne ! répéta le vieillard.
– Oui.
– Mais tu dois le savoir.
– Comment le saurai-je ?
– Elle est allée au-devant de toi.
– Quand donc ?
– Au commencement du combat.
– Alors elle était sur le chemin des Pierres-Noires ?
– Oui.
– Et elle n’est pas revenue ?
– Non ! répondit Yvon frappé de terreur par le bouleversement subit des traits du jeune homme.
– Elle n’est pas revenue ! répéta ce dernier.
– Mais tu ne l’as donc pas ramenée avec toi ?
– Je ne l’ai même pas rencontrée !…
– Mon Dieu ! qu’est-elle donc devenue depuis deux heures ?
Les paysans qui entraient successivement dans la maison d’Yvon avaient entendu ce dialogue.
– Mais, fit observer l’un d’eux, peut-être qu’Yvonne aura eu peur et qu’elle se sera cachée.
– C’est possible, répondit le vieillard. Tiens, Jahoua, cherchons dans la maison, et vous autres, mes gars, cherchez dans le village.
Plusieurs paysans sortirent.
– Ah ! murmura Jahoua, c’était bien elle que j’avais vue, et Keinec aussi l’avait bien reconnue !
XXIII – DEUX CŒURS POUR UN AMOUR.
Comme on le pense, les recherches furent vaines. Marcof revint avec les paysans, et là, devant tous, Jahoua raconta sa rencontre avec Keinec, la lutte qui s’en était suivie, et l’apparition étrange qui les avait séparés. Il termina en ajoutant que Keinec s’était mis à la poursuite du cavalier qui, selon toute probabilité, enlevait Yvonne.
– Mais Keinec est ici, interrompit Marcof.
– Il est revenu ? s’écria Jahoua.
– Me voici ! répondit la voix du marin.
Et Keinec s’avança au milieu du cercle.
– Ma fille ? mon Yvonne ? demanda le vieillard avec désespoir.
– Je n’ai pu retrouver sa trace ! répondit Keinec d’une voix sombre.
– N’importe ; raconte vite ce qui est arrivé, ce que tu as fait au moins ! dit vivement Marcof.
– C’est bien simple : comme la route des Pierres-Noires n’aboutit qu’à Penmarckh, je me suis élancé sur les falaises pour couper au plus court. J’entendais de loin le galop précipité du cheval. Arrivé au village, j’écoutai pour tâcher de deviner la direction prise, mais je n’entendis plus rien. Alors l’idée me vint que l’on pouvait avoir gagné la mer. Je me laissai glisser sur les pentes et je touchai promptement la plage. Elle était déserte. J’écoutai de nouveau. Rien ! Cependant, en m’avançant sur les rochers, il me sembla voir au loin une barque glisser sur les vagues. Je courus à mon canot. L’amarre avait été coupée et la marée l’avait entraîné. Aucune autre embarcation n’était là. Aucune des chaloupes du Jean-Louis n’était à la mer. À bord, j’appris que Marcof et ses hommes étaient ici. Alors une sorte de folie étrange s’empara de moi. Je crus un moment que j’avais fait un mauvais rêve et que rien de ce que j’avais vu et entendu n’était vrai. Je me dis que personne n’avait intérêt à enlever Yvonne, et qu’elle devait être à Fouesnan. D’ailleurs, la fusillade que j’entendais m’attirait de ce côté. Convaincu que je retrouverais la jeune fille au village, je repris la route des falaises. Vous savez le reste.
Un profond silence suivit le récit de Keinec. Aucun des assistants ne pouvant deviner la vérité, se livrait intérieurement à mille conjectures. Marcof, surtout, réfléchissait profondément. Le vieil Yvon s’abandonnait sans réserve à toute sa douleur. Jahoua et Keinec s’étaient rapprochés du père d’Yvonne et s’efforçaient de le consoler. Leurs mains se touchaient presque, et telle était la force de leur passion, qu’ils ne songeaient plus au combat qu’ils s’étaient livré quelques heures auparavant, ni à celui qui devait avoir lieu le lendemain. Marcof se leva, et, frappant du poing sur la table :
– Nous la retrouverons, mes gars ! s’écria-t-il.
Tous se rapprochèrent de lui.
– Que faut-il faire ? demandèrent à la fois le fermier et le jeune marin.
– Cesser de vous haïr, d’abord, et m’aider loyalement tous deux.
Les deux hommes se regardèrent.
– Keinec, dit Jahoua après un court silence, nous aimons tous deux Yvonne, et nous étions prêts tout à l’heure à nous entretuer pour satisfaire notre amour et nous débarrasser mutuellement d’un rival.
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