Marcof-le-malouin
Méditerranée, il avait appris assez d’italien pour comprendre les paroles qui se prononçaient, et, au besoin même, pour converser avec les hommes auprès desquels il se trouvait. Celui qu’on avait qualifié de capitaine s’avança gravement vers le naufragé.
– Comment te trouves-tu ? lui demanda-t-il.
– Je n’en sais trop rien, répondit naïvement Marcof, qui, le corps brisé et la tête vide, était effectivement incapable de constater l’état de santé dans lequel il était.
– D’où viens-tu ?
– De la mer.
– Par saint Janvier ! je le sais bien, puisque nous t’avons trouvé évanoui sur la plage. Ce n’est pas cela que je te demande. Tu es Français ?
– Oui.
– Et marin ?
– Oui.
– Ton navire a donc fait naufrage ?
– Oui ! répondit une troisième fois Marcof, incapable de prononcer un mot plus long.
– Tu es laconique ! fit observer son interlocuteur d’un air mécontent.
Marcof fit un effort et rassembla ses forces.
– Il y a trois jours que je n’ai mangé, balbutia-t-il ; par grâce, donnez-moi à boire, je meurs de faim, de soif et de fatigue !
Le jeune homme qui le veillait parut ému.
– Tenez ! fit-il vivement en lui offrant une gourde ; buvez d’abord, je vais vous donner à manger.
Marcof prit la gourde et la porta avidement à ses lèvres.
Le capitaine appela Piétro.
– Nous retournons à la montagne, lui dit-il. Tu vas rester près de cet homme ; demain nous reviendrons, et, s’il le veut, nous l’enrôlerons parmi nous. Il paraît vigoureux, ce sera une bonne recrue.
Quelques instants après, on servait à Marcof un mauvais dîner, et on lui donnait ensuite un lit plus mauvais encore. Mais, dans la position où se trouvait le marin, on n’a pas le droit d’être bien difficile. Il mangea avec avidité et dormit quinze heures consécutives. À son réveil, il se sentit frais et dispos. Piétro était près de lui ; il entama la conversation. Le jeune Calabrais était bavard comme la plupart de ses compatriotes ; il parla longtemps, et Marcof apprit qu’il avait été recueilli par une de ces bandes si redoutées de bandits des Abruzzes. N’ayant rien sur lui qui pût tenter la cupidité de ces hommes, il reçut cette confidence avec le plus grand calme.
Dans la journée, les bandits de la veille revinrent dans l’hôtellerie. Le chef, qui se nommait Cavaccioli, proposa, sans préambule, à Marcof de s’enrégimenter sous ses ordres, lui vantant la grâce et les séductions de l’état. Marcof hésitait.
Ce mot de bandit sonnait désagréablement à ses oreilles. Mais, d’un autre côté, il réfléchissait qu’il se trouvait sur une terre étrangère, sans aucun moyen d’existence. Son navire était perdu, ses compagnons avaient tous péri. Quelle ressource lui restait-il ! Aucune. Cavaccioli renouvela ses offres. Marcof n’hésita plus.
– J’accepte, dit-il, à une condition.
– Laquelle ?
– C’est que je serai entièrement libre de ma volonté quant à ce qui concernera mon séjour parmi vous.
– Accordé ! fit le bandit en souriant, tandis qu’il murmurait à part : Une fois avec nous, tu y resteras ; et si tu veux fuir, une balle dans la tête nous répondra de ta discrétion.
Marcof fut présenté officiellement à la bande et accueilli avec acclamations. Piétro, surtout, paraissait des plus joyeux. Marcof lui en demanda la cause.
– Je l’ignore, répondit le jeune homme ; mais dès que je vous ai vu rouvrir les yeux hier, cela m’a fait plaisir ; il me semblait que vous étiez pour moi un ancien camarade.
– Allons, murmura Marcof, il y a de bonnes natures partout.
Le soir même, il y eut festin dans l’hôtellerie, et Marcof en eut les honneurs. Chacun fêtait la nouvelle recrue dont les membres athlétiques indiquaient la force peu commune, et inspiraient la crainte à défaut de la sympathie. Le lendemain, au point du jour, Marcof, devenu bandit calabrais, s’enfonçait dans la montagne en compagnie de ses nouveaux camarades.
En acceptant les propositions de Cavaccioli, le marin avait songé qu’il pourrait promptement gagner Naples ou Reggio, et de là s’embarquer pour la France. Il était trop bon matelot pour se trouver embarrassé dans un port de mer, quel qu’il fût.
V – LES CALABRES
Quinze jours après, Marcof parcourait, la carabine au poing et la cartouchière au côté, les routes rocheuses des Abruzzes. Les bandits calabrais
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