Marcof-le-malouin
enfant…
Le pêcheur, attendri, leva ses mains amaigries sur la tête de Marcof. Puis, les yeux fixés vers le ciel, il pria longuement, implorant pour l’enfant la miséricorde du Seigneur. Le prêtre aussi joignait ses prières à celles de l’agonisant. Il ne fut plus question, entre le pêcheur et Marcof, du gentilhomme qui était venu jadis.
Le lendemain, le marin rendait son âme à Dieu. Marcof le pleura amèrement. Il employa la meilleure partie des dix louis qui composaient l’actif de la succession, à faire célébrer un enterrement convenable, à orner la fosse d’une pierre tumulaire, sur laquelle on grava une courte inscription. Le soir, Marcof revint dans la cabane, qui lui parut si triste et si désolée depuis qu’il s’y trouvait seul, qu’il résolut de quitter non-seulement sa demeure, mais encore Saint-Malo. Il partit pour Brest.
On était alors en 1765. Marcof avait douze ans à peine. Il trouva un engagement comme novice à bord d’un navire dont le commandant avait une réputation de dureté et d’habileté devenue proverbiale dans tous les ports de la Bretagne. Le navire allait aux Indes, et, de là, à la Virginie. Marcof resta deux ans et demi absent. À son retour, son engagement était terminé. Mais le vieux loup de mer qui se connaissait en hommes, le retint à son bord en qualité de matelot.
Bref, à dix-neuf ans, Marcof le Malouin, car il avait hérité du surnom de son père adoptif, avait navigué sur tous les océans connus. Il avait essuyé de nombreuses tempêtes, fait cinq ou six fois naufrage, et il avait manqué quatre fois de mourir de faim et de soif sur les planches d’un radeau. Comme on le voit, son éducation maritime était complète. Aussi était-il connu de tous les officiers dénicheurs de bons marins, et les armateurs eux-mêmes engageaient souvent les commandants de leurs navires à embarquer le jeune homme dont la réputation de bravoure, d’honnêteté, de courage et d’habileté grandissait chaque jour.
Jusqu’alors l’existence de Marcof avait été heureuse, sauf, bien entendu, les dangers inséparables de la vie de l’homme de mer. Cependant on le voyait parfois triste et soucieux. Il se sentait mal à l’aise en ce cadre étroit dans lequel il végétait. Parfois, dans ses rêves, il voyait devant lui un avenir large et brillant, où son ambition nageait en pleine eau ; puis, au réveil, la réalité lui faisait pousser un soupir. En un mot, il fallait à cette nature énergique et puissante, à cette intelligence élevée et hardie, une existence remplie de périls, d’aventures, de jouissances de toutes sortes. Il n’allait pas tarder à voir son ambition satisfaite, et ces périls qu’il appelait n’allaient pas lui faire défaut.
IV – LA FIDÉLITÉ
Vers la fin de 1773, un des riches armateurs de la Bretagne qui avait perdu successivement sept navires, tous pris et coulés par les navires musulmans qui sillonnaient la Méditerranée depuis des siècles, eut le désir bien légitime de venger ces désastres. De plus, le digne négociant pensa avec raison que voler des voleurs étant une œuvre pie, pirater des pirates serait une action bien plus méritoire encore, puisqu’elle aurait le double avantage de leur prendre ce qu’ils avaient pris, et de les punir ensuite. En conséquence, il fit construire, à Lorient, un charmant brick savamment gréé, élancé de carène, propre à donner la chasse, et qui portait dans son entre-pont vingt jolis canons de douze. Le brick, une fois lancé et prêt à prendre la mer, fut baptisé sous le nom de la Félicité , et on obtint du ministre des lettres de marque pour le capitaine qui le commanderait. C’était ce capitaine qu’il s’agissait de trouver.
Il faut dire qu’à cette époque vivait à Brest un officier de marine nommé Charles Cornic. Charles Cornic était né à Morlaix, et était un émule des Jean-Bart et des Duguay-Trouin. Malheureusement pour lui, Cornic était aussi ce que l’on nommait alors un « officier bleu. »
Pour comprendre la valeur négative de ce titre, il faut savoir qu’à l’époque dont nous parlons, le corps des officiers de marine se divisait en deux catégories bien tranchées. Les officiers nobles d’une part, et les officiers sans naissance de l’autre. Ces derniers étaient en butte continuellement aux vexations des premiers qui, non-seulement refusaient souvent de leur obéir, mais encore ne voulaient pas toujours les prendre sous
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