Marcof-le-malouin
étonné.
– Sans doute.
– Pourquoi ?
– Ce n’est pas là ce que je veux.
– Et que veux-tu ?
– Un guide pour me conduire à Reggio.
– Tu quittes les Calabres ?
– Oui.
– Pour quelle raison ?
– Cela ne te regarde pas.
– Tu es bien hardi d’oser me parler ainsi.
– Je parle comme il me plaît.
– Et si je te punissais de ton insolence ?
– Je t’en défie.
– Oublies-tu que tu es entre mes mains ?
– Oublies-tu toi-même que ta vie est entre les miennes ? répondit Marcof d’un ton menaçant, et en désignant sa hache.
Les deux hommes se regardèrent quelques instants au milieu du silence général. Les bandits semblaient ne pas comprendre, tant leur stupéfaction était grande. Marcof reprit :
– J’ai quitté Cavaccioli parce que je ne suis ni assez lâche ni assez misérable pour me livrer à un honteux métier. Il a voulu me faire assassiner. J’ai pendu de ma main les cinq drôles qu’il m’avait envoyés. Maintenant, contraint par moi, il m’a remis ce sauf-conduit. Songe à suivre ces instructions, ou sinon ne t’en prends qu’à toi du sang qui sera versé !
– Allons ! répondit Diégo en souriant, tu ne fais pas mentir ta réputation d’audace et de bravoure.
– Alors tu vas me donner un guide ?
– Bah ! nous parlerons de cela demain. Il fera jour.
– Non pas ! je veux en parler sans tarder d’une minute !
– Allons ! tu n’y songes pas ! Tu es un brave compagnon ; ta hardiesse me plaît. Demeure avec nous ! Vois ! ce soir j’ai fait une riche proie, continua le bandit en désignant du geste les cadavres et la jeune femme. Je ne puis t’offrir une part du butin puisque tu es arrivé trop tard pour combattre, mais si cette femme te plaît, si tu la trouves belle, je te permets de jouer aux dés avec nous.
– Et si je la gagne, je l’emmènerai avec moi ?
– Non ! Elle sera poignardée au point du jour. Elle pourrait nous trahir.
– Alors je refuse.
– Et tu fais bien, répondit un bandit en s’adressant à Marcof ; car je viens de gagner la belle et je ne suis nullement disposé à la céder à personne.
En disant ces mots le misérable, trébuchant par l’effet de l’ivresse, s’avança vers la victime. Il posa sa main encore ensanglantée sur l’épaule nue de la jeune femme. Au contact de ces doigts grossiers, celle-ci tressaillit. Elle poussa un cri d’horreur ; puis, rassemblant ses forces :
– Au secours ! murmura-elle en français.
– Une Française ! s’écria Marcof en repoussant rudement le bandit qui alla rouler à quelques pas. Que personne ne porte la main sur cette femme !
VII – L’INCONNUE.
– De quoi te mêles-tu ? demanda vivement Diégo.
– De ce qui me convient, répondit Marcof en se plaçant entre la jeune femme et les misérables qui l’entouraient en tumulte.
– Écarte-toi ! tu as refusé de jouer cette femme, un autre l’a gagnée ; elle ne t’appartient pas.
– Eh bien ! que celui qui la veut ose donc venir la chercher !
– À mort ! crièrent les bandits furieux de cette atteinte portée à leurs droits.
– Écoutez-moi tous ! fit le marin dont la voix habituée à dominer la tempête s’éleva haute et fière au-dessus du tumulte ; écoutez-moi tous ! Cette femme est faible et sans défense. La massacrer serait la dernière des lâchetés ; la violenter serait la dernière des infamies ! Elle est Française comme moi. Je la prends sous ma protection. Malheur à qui l’approcherait.
Il y eut parmi les bandits ce moment d’hésitation qui précède les combats. La plupart, avons-nous dit, gisaient ivres-morts et incapables de comprendre ce qui se passait. Dix seulement avaient conservé assez de raison pour opposer une résistance sérieuse à la volonté du marin. Il était aisé de comprendre qu’une scène de carnage allait avoir lieu, et en voyant un homme seul en menacer dix autres, on pouvait prévoir l’issue de la lutte. Cependant il y avait tant d’énergie et tant d’audace dans l’œil expressif de Marcof que les brigands n’osaient avancer, sentant bien que le premier qui ferait un pas tomberait mort. Diégo s’était mis à l’écart et armait sa carabine.
Marcof jetait autour de lui un coup d’œil rapide. Il voyait à l’expression de la physionomie des brigands que le combat était certain. Aussi, voulant avoir l’avantage de l’attaque, il n’attendit pas et bondit sur les
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