Marcof-le-malouin
demanda Marcof, qui, pendant son séjour dans les montagnes, s’était familiarisé avec le rude patois du pays, au point de le parler couramment.
– Oui, répondit le pêcheur.
– Où vas-tu ?
– Dans le détroit de Messine.
– Où comptes-tu relâcher en premier ?
– À Catane.
– Veux-tu nous prendre à ton bord, cette jeune femme et moi ?
– Je veux bien, si vous payez généreusement.
– J’ai trois sequins dans ma bourse ; je t’en donnerai deux pour le passage.
– Embarquez alors.
La traversée fut courte et heureuse. En touchant à Catane, Marcof conduisit sa compagne dans une auberge et s’informa d’un médecin. On lui indiqua le meilleur docteur de la ville. Marcof le pria de venir visiter la jeune femme, et, après une consultation longue, le médecin déclara que la pauvre enfant était folle, et qu’il fallait lui faire suivre un traitement en règle. Encore le médecin ajouta-t-il qu’il ne répondait de rien. Marcof ne possédait plus qu’un sequin. Il raconta sa triste situation au docteur.
– Mon ami, lui dit celui-ci, je ne suis pas assez riche pour soigner chez moi cette jeune femme ; mais je puis vous donner une lettre pour l’un de mes confrères de Messine. Il dirige l’hôpital des fous, et il y recevra celle dont vous prenez soin si charitablement.
Marcof accepta la lettre, partit pour Messine, et, grâce à la recommandation du médecin de Catane, il vit sa protégée installée à l’hospice des aliénés. Mais le voyage terminé, il ne lui restait pas deux paoli.
– Excellent cœur ! dit la religieuse en interrompant le marquis.
– Oui, Marcof est une noble nature ! répondit Philippe de Loc-Ronan ; c’est une âme grande et généreuse, forte dans l’adversité, toujours prête à protéger les faibles.
– Et cette jeune femme, quel était son nom ?
– Marcof ne l’a jamais su ; elle avait été complètement dépouillée par les bandits ; rien sur elle ne pouvait indiquer son origine, et son état de santé ne lui permettait de donner aucun renseignement à cet égard. La seule remarque que fit mon frère fut que le mouchoir brodé que la pauvre folle portait à la main était marqué d’un F surmonté d’une couronne de comte.
– La revit-il ?
– Jamais.
– Alors il ignore si elle a recouvré la raison.
– Il l’ignore.
– Mais, monseigneur, dit Jocelyn, cette jeune femme appartenait probablement à une puissante famille. Sa disparition et celle des cavaliers qui l’accompagnaient eussent dû être remarquées ?
– J’étais à la cour à cette époque, Jocelyn, et je n’ai jamais entendu parler de ce malheur.
– C’est étrange !
– Et que devint Marcof ? Que fit-il après avoir conduit sa protégée à l’hôpital des fous ? demanda la religieuse.
– Il trouva à s’embarquer et revint en France. À cette époque, la guerre d’Amérique venait d’éclater. Marcof résolut d’aller combattre pour la cause de l’indépendance. C’est ici que commence la seconde partie de sa vie ; mais cette seconde partie est tellement liée à mon existence, continua la marquis, que je vais cesser de lire, chère Julie, et que je vous raconterai.
Le marquis se recueillit quelques instants, puis il reprit :
– Six ans après que Marcof eut quitté la Calabre, c’est-à-dire vers 1780, il y a bientôt douze années, chère Julie, et vous devez d’autant mieux vous souvenir de cette date que cette année dont je vous parle fut celle de notre séparation, je m’embarquai moi-même pour l’Amérique, où M. de La Fayette, mon ami, me fit l’accueil le plus cordial.
Je n’entreprendrai pas de vous raconter ici l’odyssée des combats auxquels je pris part. Je vous dirai seulement qu’au commencement de 1783, me trouvant avec un parti de volontaires chargé d’explorer les frontières de la Virginie, nous tombâmes tout à coup dans une embuscade tendue habilement par les Anglais. Nous nous battîmes avec acharnement.
Blessé deux fois, mais légèrement, je prenais à l’action une part que mes amis qualifièrent plus tard de glorieuse, quand je me vis brusquement séparé des miens et entouré par une troupe d’ennemis. On me somma de me rendre. Ma réponse fut un coup de pistolet qui renversa l’insolent qui me demandait mon épée. Dès lors il s’agissait de mourir bravement, et je me préparai à me faire des funérailles dignes de mes ancêtres. Bientôt le nombre
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