Marcof-le-malouin
allait l’emporter. Mes blessures me faisaient cruellement souffrir ; la perte de mon sang détruisait mes forces ; ma vue s’affaiblissait, et mon bras devenait lourd. J’allais succomber, quand une voix retentit soudain à mes oreilles, et me cria en excellent français :
– Courage, mon gentilhomme ! nous sommes deux maintenant.
Alors, à travers le nuage qui descendait sur mes yeux, je distinguai un homme qu’à son agilité, à sa vigueur, à la force avec laquelle il frappait, je fus tenté de prendre pour un être surnaturel. Il me couvrit de son corps et reçut à la poitrine un coup de lance qui m’était destiné. Je poussai un cri.
Lui, sans se soucier de son sang qui coulait à flots, ivre de poudre et de carnage, il était à la fois effrayant et admirable à contempler. Pendant cinq minutes il soutint seul le choc des Anglais, et cinq minutes, dans une bataille, sont plus longues que cinq années dans toute autre circonstance. Enfin nos amis, qui avaient d’abord lâché pied, revinrent à la charge et nous délivrèrent.
Après le combat, je cherchai partout mon généreux sauveur, mais je ne pus le découvrir. Transporté au poste des blessés, j’appris, le lendemain, qu’après s’être fait panser il s’était élancé à la poursuite des Anglais.
Six mois après, chère Julie, au milieu d’un autre combat, et dans des circonstances à peu près semblables, je dus encore la vie au même homme, qui fut encore blessé pour moi. Cette fois, malheureusement, sa blessure était grave, et il lui fallut consentir à être transporté à l’ambulance. Le chirurgien qui le soigna demeura stupéfait en voyant ce corps sillonné par plus de quatorze cicatrices.
Une fièvre ardente s’empara du blessé et le tint trois semaines entre la vie et la mort. Enfin, la vigueur de sa puissante nature triompha de la maladie. Il entra en convalescence. J’ignorais encore qui il était. Je lui avais prodigué mes soins, et un jour qu’il essayait ses forces en s’appuyant sur mon bras, je tentai de l’interroger.
– Vous êtes Français, lui dis-je, cela s’entend ; mais dans quelle partie de la France êtes-vous né ?
– Je n’en sais rien, me répondit-il.
– Quoi ! vous ignorez l’endroit de votre naissance ?
– Absolument.
– Et vos parents ?
– Je ne les ai jamais connus.
– Vous êtes orphelin ?
– Je l’ignore.
– Comment cela ?
– Je suis un enfant perdu.
– Alors le nom que vous portez ?
– Est celui d’un brave homme qui a pris soin de mon enfance.
– Et où avez-vous été élevé ?
– En Bretagne.
– Dans quelle partie de la province ?
– À Saint-Malo.
– À Saint-Malo ! m’écriai-je.
– Oui, me répondit-il. Est-ce que vous-même vous seriez né dans cette ville ?
– Non. Je suis Breton comme vous, mais je suis né à Loc-Ronan, dans le château de mes ancêtres.
Puis, après un moment de silence, je repris avec une émotion que je pouvais à peine contenir :
– Vous m’avez dit que vous portiez le nom du brave homme qui vous avait élevé ?
– Oui.
– Quelle profession exerçait-il ?
– Celle de pêcheur.
– Et il se nommait ?
– Marcof le Malouin.
En entendant prononcer ce nom, j’eus peine à retenir un cri prêt à jaillir de ma poitrine ; mais cependant je parvins à le retenir et à comprimer l’élan qui me poussait vers mon sauveur.
VIII – LES DEUX FRÈRES.
– Pour comprendre cette émotion profonde que je ressentais, continua le marquis de Loc-Ronan, il me faut vous rappeler les recommandations faites par mon père à son lit de mort. Je vous ai déjà dit que l’abandon de cet enfant, fruit d’une faute de jeunesse, avait assombri le reste de ses jours. Lui-même avait cherché, mais en vain, à retrouver plus tard les traces de ce fils délaissé, et confié à des mains étrangères. Aussi, lorsqu’il m’eut révélé dans ses moindres détails le secret qui le tourmentait, lorsqu’il m’en eut raconté toutes les circonstances, me disant et le nom du pêcheur, et l’âge que devait avoir mon frère, et le lieu dans lequel il l’avait abandonné ; lorsqu’après m’avoir fait jurer de ne pas repousser ce frère si le hasard me faisait trouver face à face avec lui, mon père mourut content de mon serment, je me mis en devoir de faire toutes les recherches nécessaires pour accomplir ma promesse. Mais les recherches furent vaines. Je fouillai
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