Marcof-le-malouin
inutilement toutes les côtes de la Bretagne. À Saint-Malo, depuis plus de dix ans que le vieux pêcheur était mort, on n’avait plus entendu parler de son fils adoptif. À Brest, une fois, ce nom de Marcof le Malouin frappa mon oreille ; mais ce fut pour apprendre que le corsaire qu’il montait s’était perdu jadis corps et bien sur les côtes d’Italie.
Lorsque mon père avait tenté ses recherches, Marcof était en Calabre. Lorsque je tentai les miennes, il était déjà en Amérique. Et voilà qu’au moment où j’y songeais le moins, au moment où j’avais perdu tout espoir de rencontrer ce frère inconnu que je cherchais, un hasard providentiel me mettait sur sa route, et, dans ce second fils de mon père, je reconnaissais celui qui deux fois m’avait sauvé la vie au péril de la sienne ; celui qui, deux fois, avait prodigué son sang pour épargner le mien ! Maintenant vous comprenez, n’est-ce pas, les élans de mon cœur ? Et cependant, je vous l’ai dit, je parvins à me contenir et à ne rien laisser deviner. J’avais mes projets.
Nous étions en 1784. Nous venions d’apprendre que la France avait reconnu enfin l’indépendance des États-Unis, et que la guerre allait cesser. J’avais résolu de revenir en Bretagne et d’y ramener avec moi ce frère si miraculeusement retrouvé. Je voulais que ce fût seulement dans le château de nos aïeux qu’eût lieu cette reconnaissance tant souhaitée. Je me faisais une joie de celle qu’éprouverait Marcof en retrouvant une famille et en apprenant le nom de son père. Je lui proposai donc de m’accompagner en France.
La guerre était terminée ; il n’avait plus rien à faire en Amérique ; il consentit. Deux mois après, nous abordâmes à Brest. Le lendemain nous étions à Loc-Ronan. Tu te rappelles notre arrivée, Jocelyn ?
– Oh ! sans doute, mon bon maître, répondit le vieux serviteur.
Le marquis continua :
– L’impatience me dévorait. Le soir même j’emmenai Marcof dans ma bibliothèque, et là je le priai de me raconter son histoire. Il le fit avec simplicité. Lorsqu’il eut terminé :
– Ne vous rappelez-vous rien de ce qui a précédé votre arrivée chez le pêcheur ? lui demandai-je.
– Rien, me répondit-il.
– Quoi ! pas même les traits de celui qui vous y conduisit ?
– Non ; je ne crois pas. Mes souvenirs sont tellement confus, et j’étais si jeune alors.
– Soupçonnez-vous quel pouvait être cet homme ?
– Je n’ai jamais cherche à le deviner.
– Pourquoi ?
– Parce que, si j’avais supposé que cet homme dont vous parlez fût mon père, cela m’eût été trop pénible.
– Et si c’était lui, et qu’il se fût repenti plus tard ?
– Alors je le plaindrais.
– Et vous lui pardonneriez, n’est-ce pas ?
– Lui pardonner quoi ? demanda Marcof avec étonnement.
– Mais, votre abandon.
– Un fils n’a rien à pardonner à son père ; car il n’a pas le droit de l’accuser. Si le mien a agi ainsi, c’est que la Providence l’a voulu. Il a dû souffrir plus tard, et j’espère que Dieu lui aura pardonné ; quant à moi, je ne puis avoir, s’il n’est plus, que des larmes et des regrets pour sa mémoire.
Toute la grandeur d’âme de Marcof se révélait dans ce peu de mots. Je le quittai et revins bientôt, apportant dans mes bras le portrait de mon père ; ce portrait, qui est d’une ressemblance tellement admirable que, lorsque je le contemple, il me semble que le vieillard va se détacher de son cadre et venir à moi. Je le présentai à Marcof.
– Regardez ce portrait ! m’écriai-je, et dites-moi s’il ne vous rappelle aucun souvenir ?
Marcof contempla la peinture. Puis il recula, passa la main sur son front et pâlit.
– Mon Dieu ! murmura-t-il, n’est-ce point un rêve ?
– Que vous rappelle-t-il ? demandai-je vivement en suivant d’un œil humide l’émotion qui se reflétait sur sa mâle physionomie.
– Non, non, fit-il sans me répondre ; et cependant il me semble que je ne me trompe pas ? Oh ! mes souvenirs ! continua-t-il en pressant sa tête entre ses mains.
Il releva le front et fixa de nouveau les yeux sur le portrait.
– Oui ! s’écria-t-il, je le reconnais. C’est là l’homme qui m’a conduit chez le pêcheur de Saint-Malo.
– Vous ne vous trompez pas, lui dis-je.
– Et cet homme est-il donc de votre famille ?
– Oui.
– Son nom ?
– Le marquis de
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