Marguerite
l’autre jour ? répondit innocemment le colonel de Rouville. Nous sommes arrivés tantôt. Mon épouse souhaitait s’assurer de la bonne santé de son frère, monsieur Hervieux, et nous avons profité du beau temps pour venir passer quelques jours à la ville, en famille. Ma parole, Talham, on dirait bien que vous avez rajeuni ! ajouta-t-il en tapotant l’épaule du docteur en un geste affectueux. Quant à la nouvelle madame Talham, n’est-elle pas radieuse !
Marguerite fit une petite révérence en tremblant de tous ses membres. Il lui fallut tout son courage pour se forger un sourire contrit. Son agresseur était là, devant elle, à saluer la compagnie comme s’il ne s’était jamais rien passé, alors que la peur lui nouait le ventre. Elle se cramponna au bras de son mari.
— Mes salutations, monsieur de Rouville. Il me semble qu’il y a longtemps qu’on vous a vu à Montréal, dit monsieur Papineau en s’avançant.
— Que voulez-vous ? Après avoir guerroyé la moitié de ma vie, j’apprécie la vie calme de la campagne. Vous verrez, notaire, que l’exploitation des terres n’est pas de tout repos.
On m’a appris que vous aviez acheté récemment la seigneurie de la Petite-Nation. Installer des censitaires, faire construire des moulins, une église, tout cela requiert un travail incessant.
Marie-Anne de Rouville, qui se tenait à ses côtés, droite comme un «i» dans une robe démodée, le bec pincé, n’était pas du même avis que son mari. D’ailleurs, l’était-elle parfois ? Elle aurait bien aimé gérer les terres de son mari, persuadée qu’elle aurait réussi.
La dame de Rouville toisa Marguerite en agitant son éventail, humiliée de se trouver en présence d’une simple habitante, alors qu’on était entre gens de la bonne société.
Née Hervieux, une des familles marchandes parmi les plus en vue de Montréal, madame de Rouville avait des liens de parenté avec tous ceux qui comptaient au Bas-Canada. Sa mère était une Marin Lamarque, sa grand-mère avait épousé en secondes noces un Legardeur de Repentigny et ses tantes se nommaient La Corne Saint-Luc ou Dugré Lecompte.
De surcroît, elle apprenait en public que l’unique médecin de Chambly venait tout juste de se remarier, son mari ayant simplement omis de lui faire part de cette nouvelle tout de même surprenante. L’événement devait être récent, le docteur était venu soigner un de leur domestique trois jours auparavant. Pourtant, son époux semblait parfaitement au courant, comme si cela allait de soi. Leur mésentente se traduisait ainsi, par de petites mesquineries entre eux, comme taire quelque chose qu’elle aurait dû savoir. Elle salua toutefois le notaire Papineau et le docteur Talham comme si de rien n’était.
Rouville s’employa { présenter ses enfants { monsieur Papineau.
— Notaire, vous connaissez sans doute mon fils ?
Papineau acquiesça poliment et salua Ovide de Rouville, dont la triste réputation était arrivée jusqu’{ ses oreilles.
Les dettes de jeu du jeune Rouville étaient malheureusement un fait notoire.
— Et voici ma fille, mademoiselle Julie de Rouville.
— Mademoiselle, mes hommages. Ravissante jeune fille, fit-il, toujours galant, puis, l’air pressé, il ajouta :
— Madame, mademoiselle, messieurs, permettez que je m’éloigne. Une affaire pressante { mentionner { mon beau-frère Viger que j’aperçois l{-bas. Docteur, rappelez-vous que nous vous attendons samedi soir avec votre charmante épouse ! N’y manquez pas, sinon ma femme et ma fille me tordront le cou, assurément.
Talham voulut confirmer, mais déjà le notaire avait ramassé sa canne et avait disparu dans la foule. Il s’engagea dans une conversation mondaine avec Rouville et sa femme. Marguerite se retrouva face à face avec Julie et Ovide de Rouville.
— Madame Talham ?
Julie cachait mal son étonnement de retrouver Marguerite Lareau { Montréal, épouse du docteur Talham, alors qu’il y a quelques mois à peine, celle-ci affirmait qu’elle n’avait aucun fiancé. Elle interrogea discrètement son frère du regard. Ce dernier haussa les épaules, n’étant pas plus au courant des dernières nouvelles que sa sœur. Mais la demoiselle de Rouville retrouva rapidement la contenance d’une femme du monde.
— Mes vœux les plus sincères, madame Talham ! ajouta-t-elle gentiment dans un de ses pâles sourires.
— Vous êtes bien aimable, mademoiselle de Rouville, remercia Marguerite,
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