Marguerite
que sa mère est la cousine germaine de Boileau et ainsi, celle de madame de Gannes de Falaise, par alliance.
— De la vulgaire roture, reprit son fils.
— Cela suffit ! fit sèchement le seigneur de Rouville.
Jeune présomptueux! Et je te prie de respecter mes amis.
Ovide de Rouville se renfrogna. Inutile d’insister, son père avait de l’estime pour le docteur français. Et si un jour cette sotte Marguerite racontait { son mari qui l’avait déflorée, la colère de son père serait terrible, même s’il n’étalerait pas sur la place publique un fait aussi insignifiant.
L’honneur d’une paysanne ne ferait pas le poids. Seul le nom des Rouville lui importerait.
— Je vous approuve, pèçe, répliqua alors Julie qui exprimait rarement une opinion, surtout devant sa mère. Ce mariage est excellent et il fera taire les mauvaises langues qui laissaient croire que le docteur avait un commerce avec sa domestique.
Rouville regarda sa fille, l’air surpris. Le bon sens de sa Julie l’étonna. Elle était beaucoup plus intelligente qü’il n’y paraissait. Dommage qu’elle ne fut pas un garçon ! Elle aurait pu être son héritière. Malheureusement, il ne pouvait pas défaire les lois et coutumes à son avantage.
*****
Dans la carriole qui les ramenait au Montréal Hôtel, Marguerite se pressait contre son mari, cherchant à oublier cette épouvantable rencontre qui l’avait prise par surprise.
Il fallait qu’elle s’habitue { croiser Ovide, { l’occasion. Son mari était un ami des Rouville. Elle s’efforça de suivre les propos de Talham qui commentait Le Festin de pierre.
— Ma chère petite femme qui s’en prenait { ce pauvre Sganarelle déguisé en médecin.
— Mais on riait de vous et vous riiez aussi ! protesta Marguerite.
— Rire de soi est salutaire et permet de prendre conscience des limites que nous impose Dieu. Je pardonne bien volontiers { Molière, il y a au plus de cent ans qu’il a écrit cette pièce et je l’admire d’avoir eu le courage de se moquer des médecins de son époque qui se croyaient tout-puissants, trop fiers de leur savoir sans jamais vouloir se remettre en question ni chercher à connaître la vérité sur les maladies.
Je l’excuse d’autant plus qu’il me permet de rire tout en me faisant réfléchir. Ce génie qui a donné au théâtre français de si belles œuvres était atteint d’une grave maladie de poitrine et il en est mort.
— Comme c’est triste, constata Marguerite, touchée {
tel point qu’elle en oublia sa propre peur.
— Molière n’acceptait probablement pas sa souffrance, poursuivit Alexandre, peut-être parce qu’il croyait que son œuvre n’était pas achevée. Je ne sais pas. Il en voulait beaucoup aux médecins - certains étaient pourtant de ses amis -, impuissants qu’ils étaient { le guérir.
— Mais la maladie est la volonté de Dieu ! s’exclama Marguerite.
— Je le croyais aussi, autrefois. Il y a plus de vingt ans que je soigne les malades, que je panse les blessures, que j’administre des remèdes. Il m’arrive de penser { la mort comme à une vieille amie; je lui connais tant de visages différents. Mais je n’ai aucune certitude que Dieu veut infliger tant de souffrances à Ses enfants. La volonté de Dieu réside peut-être dans la recherche des moyens qui permettront aux docteurs de soulager et de guérir.
— Alors, pourquoi les curés prêchent-ils la résignation ?
— Parce qu’ils soignent les âmes. Des âmes qui sont mises à dure épreuve quand il s’agit de maladie dont l’issue est inéluctable. Je crois aussi que la science, qui ne cesse de se développer depuis un siècle, finira par donner aux docteurs en médecine les moyens de maîtriser la maladie, sans fâcher Dieu pour autant. Ce monsieur Jenner, en Angleterre, qui a trouvé une vaccine contre la petite vérole, une tueuse d’enfants qui remplit les cimetières, en est un bon exemple.
Alexandre se tut. Ces graves réflexions troublaient une âme pure, constatait-il en observant le visage de Marguerite qui s’assombrissait. La carriole eut un sursaut, la désé-
quilibrant. Il la retint et reprit :
— Allons, Marguerite, il faut garder espoir et chasser les mauvaises pensées de ton esprit, afin que l’enfant soit beau et en santé. Nous veillerons sur lui afin qu’aucune fièvre ne l’atteigne. Nous éloignerons de lui la maladie, je te le promets, ma chère petite.
En disant cela, sous les fourrures qui
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