Marguerite
l’étranger pour compléter leur apprentissage aux Etats-Unis ou en Europe, puisqu’il n’y avait pas encore d’université au Canada. Les chirurgiens anglais arrivés après la Conquête avaient exigé du gouverneur la création de bureaux d’examinateurs afin de mettre un peu d’ordre dans une profession qui, il faut l’avouer, en avait bien besoin. En vérité, les anciens chirurgiens militaires ou navigants exerçaient la médecine surtout dans les campagnes, rendant des services inestimables à la population.
Et, comme l’avait fait Talham, ils troquaient leur titre de chirurgien pour celui de médecin. Leurs longues années de pratique attestaient de leur savoir.
— Lorsque j’étais aux Trois-Rivières, le marchand René Kimber m’a fait part de son intention d’inscrire son fils, René-Joseph, à Edimbourg. Vous verrez que nos futurs médecins suivront cet exemple dans les années qui viennent.
Et puis, ajouta Arnoldi d’un ton moqueur, ils sont vos futurs clients.
— Ne mêlons pas les affaires aux choses de l’art. Je me réjouis que le bureau des examinateurs ne soit composé que de bons chirurgiens anglais. Les Français et Allemands sont tous des charlatans !
— Maître Rowand, vous dépassez la mesure ! Permettez que je vous salue ! fit Arnoldi, franchement vexé.
Il sortit en claquant la porte. Dans sa lancée, Rowand avait oublié que le père de son ancien élève était justement un de ces mercenaires allemands venus pour prêter main-forte { l’armée britannique afin de contrer l’invasion des rebelles américains.
— Que tous ces gens sont susceptibles ! Et dire que cet idiot d’Arnoldi a épousé une Canadienne alors qu’il y avait tant de bonnes Anglaises bien éduquées dans la colonie! maugréa Rowand. French, Scottish, German. .
soupira-t-il. What a pity that we British must sujfer these foreigners, who pretend to be equals in the practice of our art1 /
Il rappela son commis pour lui remettre la liste de Talham et donna ses ordres. Il y en avait pour cent vingt-cinq livres et quatre sols, une somme non négligeable.
*****
Marguerite n’avait jamais été aussi élégante ! Elle portait enfin sa nouvelle robe aux couleurs de l’azur qui faisait briller ses yeux. Les cheveux relevés et ramassés dans un lourd chignon bas avec de gracieuses bouclettes qui encadraient son visage suivant les prescriptions de la demoiselle Gibb, la jeune femme produisait le plus joli effet qui soit !
Au cou, retenu par un ruban de velours, le christ d’or offert par son mari ; une écharpe de fine soie ivoire aux extrémités élégamment frangées glissait en un mouvement charmant sur ses épaules et ses bras.
Chez Gibb, il lui avait fallu acheter des bas de soie joliment brodés et des chaussures de satin. C’était terriblement gênant d’acheter des articles aussi intimes, mais la demoiselle Gibb avait su la mettre { l’aise. Et son mari qui avait insisté pour qu’elle choisisse une parure { la mode, un gracieux plumet de la même teinte que sa robe, tout en lui conseillant d’attendre une autre occasion avant de le piquer dans ses cheveux.
— L’invitation dans la Gazette de Montréal prie les femmes de se «coiffer bas et sans plumets». Tu n’aimerais pas rater ta première grande soirée à Montréal en péchant par accès de coquetterie. Mais tu pourras le porter demain, au souper des Papineau.
De toute manière, Marguerite ne tenait pas à se faire remarquer. En déambulant au bras de son mari, elle se félicitait de ne pas avoir eu cette hardiesse, terriblement intimidée par ces regards d’inconnus qui avaient l’aplomb de la détailler des pieds à la tête. Elle entendait des murmures désobligeants à propos de celles qui arboraient parfois jusqu’{ deux plumets dans leur coiffure. Ces femmes ne manquaient pas d’audace !
Son époux avait fière allure ce soir-là. Il avait troqué ses vêtements noirs habituels pour un habit de soirée de velours brodé vert foncé dont les pans élégants de la veste lui battaient les mollets. Gilet assorti, chemise blanche de soie fine, cravate blanche soigneusement nouée, montre de gousset en or et canne au pommeau sculpté, tout annonçait l’homme de qualité.
Une foule bigarrée se pressait dans le grand hall de l’hôtel Hamilton qui servait de théâtre. «Bien plus de monde que la plus grande assemblée de paroissiens à l’église ! » se dit Marguerite, ragaillardie par le cordial du docteur
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