Marguerite
qui ne s’était pas encore remise du choc que lui avait causé l’apparition des Rouville.
Elle cherchait une phrase anodine à prononcer pour poursuivre la conversation sans y arriver. La présence d’Ovide de Rouville
l’insupportait.
Elle
aurait
aimé
s’éva-
nouir comme cet après-midi, dans l’apothicairerie de ce médecin anglais, mais elle n’eut pas cette chance.
Rouville la fixait d’un air mauvais, cherchant à déceler dans l’attitude de Marguerite un indice quelconque, se demandant si l’habitante s’était confiée { son nouvel époux.
Ce mariage soudain l’inquiétait. «Mais non, c’est impossible, songea-t-il. Elle n’a rien dit. Talham ne m’aurait pas salué aussi aimablement si tel avait été le cas. » Il fallait faire comprendre { la fille qu’elle avait intérêt { continuer de se taire.
— Ma sœur n’est pas très { l’aise, comme vous le voyez.
C’est tellement inhabituel de trouver quelqu’un de votre classe ici, dit-il, narquois. Cendrillon, au bras d’un vieillard, persifla-t-il avec un regard insistant. Vous lui racontez vos rêves de petite fille la nuit ?
Marguerite comprit le sous-entendu et rassembla son courage pour répondre à son bourreau.
— Soyez sans crainte, monsieur de Rouville, dit-elle d’une voix blanche. Mon mari ne cherche pas { tout connaître de moi.
— Tu ne vas pas encore recommencer? lança Julie à son frère d’un ton sévère tant pour le rabrouer que pour prendre la défense de Marguerite. Comment trouvez-vous la soirée ?
demanda-t-elle à celle-ci.
— J’aime bien ça, l’assura Marguerite en se rappelant tout le plaisir qu’elle venait d’avoir avant leur arrivée.
— Votre mariage cause toute une surprise, mais vous m’en voyez heureuse pour vous, mademoiselle Lareau. Je veux dire, madame Talham. Vous êtes une cachottière. J’ai rencontré vos cousines { l’église l’autre jour et elles ne m’ont rien dit de votre mariage. Il n’y a pas eu d’annonce de bans { l’église ?
— Le docteur a fait sa demande au début de l’hiver et mes parents ont accepté, expliqua simplement Marguerite, embarrassée par la question, espérant que Julie se satisfasse de cette réponse vague.
— C’est vrai, répondit Talham qui venait d’entendre les derniers mots de la conversation et arrivait enfin à la rescousse. J’ai été attiré par la demoiselle Lareau, chez vous, {
la dernière Saint-Martin, et j’ai voulu me marier avant le carême.
Marguerite remercia son époux du regard et Talham lui trouva l’air pâle et les traits tirés. « Encore une fois, j’oublie qu’elle est enceinte. Je suis impardonnable. »
— Ma chère, je crois qu’il est temps de rentrer, proposa-t-il. Nous avons eu une longue journée et tu as sans doute besoin de te reposer.
Elle approuva en silence en reprenant le bras du docteur pour ne plus le laisser.
— Marguerite n’a pas l’habitude des divertissements de la ville et demain, nous avons encore une longue journée d’obligations, s’excusa Talham.
Julie réprima un sourire malicieux. Marguerite fit une petite révérence, tandis que madame de Rouville la dévisageait.
Les Talham partis, elle se retourna vivement vers son mari.
— Eh bien, mon ami ? De toute évidence, vous étiez au courant de ce mariage. . récent?
Madame de Rouville contenait avec peine sa fureur.
— Très récent, en effet. Il date d’hier matin. Je l’ai même encouragé et j’en ai été le témoin, répondit nonchalamment Rouville.
— Hier ? A un mariage dont personne ne sait rien, qui n’a même pas été annoncé au prône ! Vous y étiez, mais le fait était-il si insignifiant que vous n’avez même pas jugé bon de m’en faire part ?
Indifférent aux remarques acerbes de sa femme, Rouville ne prit même pas la peine de répondre.
— Peu me chaut le mariage d’une habitante, maugréa-t-elle entre ses dents. Mais votre attitude à mon endroit ne connaît plus de limite. Vous me mortifiez.
— Père, pourquoi avez-vous encouragé le mariage de cette paysanne ? demanda { son tour Ovide d’un ton vindicatif.
—
Le bonheur de mon ami Talham me tient { cœur, répondit son père, et cette jeune fille est une épouse parfaite pour lui.
— Vous voulez rire, père. Ces Lareau ne sont que des manants prétentieux.
— Ce sont surtout d’honnêtes gens, des habitants aisés qui ne rechignent pas { l’ouvrage et de qui tu devrais prendre exemple. Sans compter
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