Marguerite
m’agacent. Il n’y a que mon cousin Louis-Michel Viger qui trouve grâce à mes yeux. Celui-là, du moins, habite Montréal. D’ailleurs, on l’attend. Mais je bavarde sans arrêt et je ne vous laisse pas la chance de dire un mot.
— Je vous en prie, il n’y a pas d’offense, mademoiselle, répondit Marguerite, étourdie par ce flot de paroles qui lui rappelait la verve de son oncle Boileau. C’est vrai que je ne suis pas très bavarde. J’ai vu tant de choses merveilleuses ces deux derniers jours. Je n’avais jamais imaginé qu’elles puissent même exister !
— Alors, dites-moi tout cela en détail, dit Rosalie.
Marguerite raconta l’après-midi chez le tailleur Gibb.
— Il y avait des dizaines de boîtes empilées les unes sur les autres qui s’ouvraient comme des tiroirs et sur chacune d’elle, il était écrit un mot que je ne comprenais pas, c’était de l’anglais.
— C’est ainsi chez la plupart des marchands. On vous parle en français, on vous écrit en anglais, commenta Rosalie.
Mais continuez, je vous prie, vous êtes douée pour raconter.
Marguerite poursuivit son récit.
— Chacune des boîtes contenait quelque chose de différent. J’avais l’impression d’être dans un endroit comme on en décrit dans les livres de contes. C’était merveilleux !
— Mais qu’est-ce qui vous plaît tant dans toutes ces boîtes de boutons ? demanda madame Papineau.
— Je ne croyais pas qu’il pouvait en exister autant { la fois, tous si différents. C’est toujours moi qui couds les hardes des enfants, à la maison. Et ce n’est jamais une corvée pour moi. Je ne saurais pas vous expliquer pourquoi, mais j’aime ça. J’éprouve un grand plaisir { bâtir des vêtements, même si c’est difficile de retailler dans les vieux habits ; il faut garder le meilleur, éviter les parties usées. Je crois que je vais continuer { aider ma mère pour l’habillement des enfants, ça la soulagera un brin.
— Si c’est vous qui avez bâti et cousu la jolie robe que vous portez, vous êtes en effet très douée, décréta Rosalie en admirant la tenue de la jeune femme.
— Merci du compliment !
— Eh bien, ma chère Marguerite, je vous écrirai souvent pour vous demander conseil, si vous le voulez bien.
— Oh ! Oui. Rien ne me fera plus plaisir que de vous répondre, mademoiselle Papineau.
— A la condition que vous m’appeliez Rosalie, je vous prie. La demoiselle Papineau lui offrait son amitié ! Marguerite acquiesça avec joie. Elle était sous le charme de cette jeune fille vive et spontanée. A bien des égards, elle lui rappelait Sophie.
Mais contrairement à sa cousine, Rosalie Papineau pratiquait l’art de mettre { l’aise les gens qui l’entouraient avec une déconcertante facilité. Marguerite retrouva son insouciance d’antan, et bientôt, les deux jeunes femmes conversèrent comme si elles se connaissaient depuis toujours.
— Maintenant,
Marguerite,
dites-moi
tout
de
vos
amours.
Et Marguerite de raconter son histoire à Rosalie, pour la première fois sans en éprouver de l’angoisse ou de la honte.
— Eh bien, disons que le docteur Talham a eu l’extrême amabilité de bien vouloir m’épouser et j’ai accepté. Il est notre docteur à Chambly. Tout le monde dans la paroisse l’aime beaucoup. Croyez-moi, mademoiselle Rosalie, j’ai beaucoup de chance.
— Oh! J’adore cette manière charmante de dire «le docteur» en parlant de votre époux, s’exclama Rosalie, impressionnée. Je rêve aussi d’épouser un homme beaucoup plus vieux que moi. Ces messieurs qu’on dit d’âge mûr font de bons maris, proclame toujours ma tante Victoria, qui est pourtant célibataire. Elle cherche encore le meilleur parti, mais pendant ce temps, son tour de taille augmente, commenta-t-elle, moqueuse.
— Parbleu, Rosalie, intervint son père. Sois respectueuse en parlant de ta tante qui t’a instruite.
— Père, vous jurez, ce qui est très vilain, répondit la jeune fille sans sourciller. C’est vrai, j’aime beaucoup ma tante, la sœur de mon père. C’est elle qui m’a appris tout ce que je sais.
«Vous avez vraiment de la chance, poursuivit Rosalie. Mon futur mari doit avoir au moins quarante ans. Quel âge avez-vous, docteur Talham ? demanda-t-elle de but en blanc. »
— Mademoiselle Papineau, j’aurais l’âge correspondant
{ vos désirs, répondit galamment Talham, qui s’amusait beaucoup des propos à bâtons rompus de cette jeune
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