Marguerite
fille si spontanée. Mais il est trop tard. Je viens d’épouser une charmante Marguerite.
— Comme c’est gracieusement dit ! Votre épouse est bien jolie, fit Rosalie en soupirant.
— N’est-ce pas? renchérit le docteur en regardant intensément Marguerite, qui baissa les yeux en rougissant.
Et comment va votre fils, monsieur Papineau ? Votre aîné, Joseph-Louis, si je me rappelle bien, est au collège?
— Ah ! Ce sacripant rechignait { l’enseignement des Sulpiciens, mais il a le tempérament contestataire. Il a donc fallu l’expédier { Québec pour qu’il termine ses études. Savez-vous qu’il se fait maintenant appeler Louis-Joseph ! Ça, c’est juste pour me contrarier. Ce brillant jeune homme a déjà une opinion sur tout. Et même à Québec, il cause quelques ennuis aux bons frères. Mais ne faut-il pas que jeunesse se passe? Moi-même, en mon temps, j’ai commis quelques tours pendables qui m’auraient certainement valu le bâton. Ah ! Impérissables souvenirs du collège !
Le docteur profita de l’occasion et narra une anecdote
{ propos d’un battant et de cloche qu’il avait dérobé et qui avait jeté la consternation au collège de Rouen.
— Je suppose que personne ne s’est levé ce matin-là?
demanda le notaire en riant.
— C’est exactement ce qui est arrivé ! répondit Talham.
Imaginez un peu la surprise du bedeau se balançant à bout de bras sur sa corde et rien d’autre que le silence pour lui répondre !
« C’était le bon temps ! » se disaient les deux hommes au moment où madame Papineau les invita à passer à table.
Maintenant qu’elle était assise { la table de ses hôtes, Marguerite convint que son mari avait raison. Elle se contentait surtout d’écouter. On l’avait placée { côté de Louis-Michel Viger, le cousin de Rosalie, un jeune homme charmant qui avait une assez bonne opinion de lui-même.
Il était entré en apprentissage auprès d’un célèbre avocat de Montréal après des études au collège Saint-Raphaël de Montréal qui l’avait, prétendait-il, profondément ennuyé.
La nature l’avait doté d’un physique avantageux: visage aux traits fins, chevelure ondulée et abondante. Il arborait une cravate savamment nouée avec juste ce qu’il fallait de négli-gence - c’est-à-dire un léger renflement au col - et de débordement de dentelles aux manches d’un élégant justaucorps cintré sur une taille fine, de couleur saumon. Cet accoutrement inusité chez un si jeune homme dénotait une personnalité originale. D’intelligence vive, le futur plaideur déployait tout son charme pour sa jolie voisine de table.
— Ainsi, madame Talham; vous êtes la cousine de mon ami René Boileau ?
Marguerite hocha silencieusement la tête. La remarque la déconcertait. Evoquer son cher cousin ici, en ce moment même, lui sembla étrange. Ces derniers jours, elle avait complètement oublié l’existence de René.
— Nous étions confrères d’étude, quoique Boileau soit un peu plus âgé que moi. Mais il témoignait beaucoup de sollicitude aux plus jeunes pensionnaires et nous protégeait de la terrible férule des régents. Il nous gâtait en nous passant en douce un morceau de pain pour compenser les maigres collations qu’on nous servait dans ce collège décrépit.
— Cela lui ressemble, approuva Marguerite. Il a toujours été très attentionné auprès de ses sœurs.
— Votre cousin semble de caractère aimable et votre plumet est charmant, fit Rosalie qui sautait du coq { l’âne.
Il va si bien avec votre robe. Ah! Comme j’aimerais en avoir un.
— Tu es trop jeune, Rosalie, observa sa mère. De toute manière, tu aurais l’air ridicule attriquée de la sorte. Ce qui va bien { l’une ne va pas nécessairement { l’autre. Les jeunes gens d’aujourd’hui sont si impétueux, poursuivit madame Papineau en se tournant vers le docteur Talham, assis à sa gauche.
Le docteur approuva benoîtement les propos de madame Papineau tout en savourant un des meilleurs bordeaux qu’il ait pu boire depuis longtemps et échappa un sourire en direction de Marguerite qui commençait à se détendre au contact amical de la jeune Rosalie.
La table était recouverte d’une belle nappe blanche damassée faite d’un tissu doux et souple, et débordait de victuailles. On servait toujours à la française chez les Papineau, et après le potage, tous les plats des services principaux avaient été posés sur la table: le saumon
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