Marguerite
fortifications. Le notaire possédait de nombreux emplacements dans la ville et plusieurs terrains, ainsi qu’un verger, et sa famille habitait une belle demeure de la rue Saint-Paul. Malgré cela, il rêvait de racheter sa maison natale, rue Bonsecours, que son père avait malheureusement vendue. Joseph Papineau attendait son heure, certain qu’un jour il retrouverait le bien familial.
La porte s’ouvrit sur une domestique qui fit entrer les Talham. Le notaire les accueillit en compagnie de son épouse,
madame
Papineau,
une
ancienne
demoiselle
Cherrier, de Saint-Denis. C’était une femme dont le physique anguleux était l’exact reflet de son caractère austère et bigot. Elle avait un visage fin et étroit et des yeux qui jetaient des éclairs { son époux ou { un de ses enfants lorsqu’elle désapprouvait un propos ou un geste. Et comme la nature a parfois des comportements inexplicables, cette femme rigide, mais d’une grande bonté, avait une fille dont le caractère avenant tranchait radicalement sur le sien.
Une jeune fille au sourire franc et rieur venait d’apparaître au pied de l’escalier. Rosalie Papineau devait avoir dix-sept ans. Elle n’était pas { proprement parler une beauté. Mais on oubliait vite les traits ingrats de son visage, car, sous des cheveux noirs et indisciplinés, des yeux noirs pétillaient d’une vive gaieté qui faisait rapidement succomber les plus coriaces.
A Montréal, personne n’ignorait que, malgré son extrême jeunesse, la fille du notaire possédait un cœur d’or, une âme généreuse et. . le franc-parler typique des Papineau !
— Monsieur et madame Talham, permettez-nous de vous présenter ma fille, Rosalie. Je vous avertis, c’est un véritable moulin à paroles, ajouta le notaire en riant.
— J’aime beaucoup votre manteau, déclara tout de go la jeune fille { Marguerite en l’aidant { se dévêtir. C’est vous qui l’avez cousu ? J’adore cette passementerie. Où l’avez-vous trouvée ?
— Rosalie, plutôt que d’incommoder madame Talham avec une enquête, peux-tu conduire nos invités à la chambre de compagnie ? l’enjoignit sa mère.
La jeune fille guida Marguerite et Alexandre dans une assez grande pièce ornée de tapisseries aux murs et de riches meubles en acajou où était dressée une table pour six convives.
— Avez-vous apporté vos instruments ? demanda abruptement Rosalie au docteur. J’ai mal { la gorge depuis ce matin. Peut-être qu’une bonne saignée me soulagerait ?
— Je vous conseille plutôt d’ajouter du miel { votre thé, si vous en avez. Je suis certain que cela vous sera plus profitable, répondit Talham en souriant à Rosalie qui, décidément, avait le don de répandre la bonne humeur autour d’elle.
— Vous avez bien de la chance d’avoir un médecin pour mari, dit-elle { Marguerite. Vous serez { l’abri des malheurs apportés par la maladie.
— Espérons-le, mademoiselle Papineau, répondit le docteur d’un ton sombre en se rappelant la mort d’Appoline.
J’envie plutôt la profession de votre père. Lorsqu’il établit un acte pour un client, il ne se demande pas chaque fois si celui-ci survivra au traitement !
— Ha ! Ha ! Ha ! Sauf s’il s’agit d’un testament ! s’esclaffa le notaire en posant sur la desserte une bouteille et des verres. Talham, un verre de madère ?
— Volontiers.
— Ma femme est à la cuisine à donner ses instructions.
D’ailleurs, nous attendons un dernier invité avant de passer à table.
— Seriez-vous muette, madame Talham ? demanda Rosalie avec entrain à Marguerite qui, en effet, ne savait trop quoi dire.
— Rosalie, n’embarrasse pas notre invitée, qui vient d’arriver et ne nous connaît pas encore, la gronda gentiment sa mère.
— Mille excuses, fit Rosalie à Marguerite. Je parle toujours à tort et à travers et je devrais mesurer mes propos { l’exemple de mon père ou de mon cher Papineau, mon frère aîné qui est si sérieux. C’est pour cela que je l’appelle «mon cher Papineau». Fort heureusement, nous en sommes débarrassés pour plusieurs mois. Je n’ai que des frères, expliqua-t-elle, et ils sont tous aussi détestables les uns que les autres. Mais vous ne les verrez pas.
Les plus jeunes ont mangé à la cuisine et sont déjà couchés.
Les autres sont au collège. Les seuls autres garçons de mon âge que je connaisse sont mes cousins. La plupart vivent à Saint-Denis. Connaissez-vous les Cherrier ?
Ils
Weitere Kostenlose Bücher