Marguerite
de faire partie de leur famille, répondit Emmélie. C’est une sorte de reconnaissance, tu devrais le savoir.
Elle se rappelait vaguement la première madame Talham, la marraine de Sophie, qui venait tourmenter Marguerite au-del{ de la mort dans l’éventualité d’une future petite sœur qui porterait son prénom. Très brune, avec un joli visage aux pommettes saillantes, Appoline Talham avait été une femme avenante.
Avec Charlotte, qui chantait les vertus de l’ancienne madame Talham { cœur de jour, Marguerite avait l’impression qu’elle devait se battre contre un fantôme.
Emmélie s’était bien rendu compte que la domestique profitait de la faiblesse de sa maîtresse pour mener la maison
{ sa guise. Charlotte interdisait farouchement l’accès { la cuisine, mais n’accomplissait aucune des autres tâches qui lui étaient dévolues. Parvenue au terme de sa grossesse, Marguerite se retrouvait obligée de faire de lourds travaux.
Emmélie avait remarqué que sa chère cousine, autrefois si gaie, sombrait peu à peu dans la mélancolie.
— Tu devrais te débarrasser de Charlotte, lui suggéra-t-elle.
— Je ne peux pas faire ça, répondit Marguerite. Elle n’a nulle part où aller.
Charlotte avait déclaré la guerre à sa maîtresse, ce qui rendait Emmélie furieuse.
La semaine précédente, la jeune fille avait surpris Marguerite penchée sur les rangs de légumes. Les récoltes commencées, il fallait préparer les caveaux à légumes pour l’hiver avant d’y empiler carottes, choux, navets, oignons et pommes de terre. Les herbages cueillis au jardin servant à assaisonner les mets pendant l’hiver ou { préparer quelques potions de bonne femme pour soulager ou guérir les petits maux habituels qui venaient toujours avec la froidure devaient être suspendus pour sécher.
Partie à la recherche de Charlotte, Emmélie l’avait trouvée se prélassant sur le sofa de la grande chambre.
— Que faites-vous là, Charlotte, pendant que votre maîtresse s’occupe du potager ?
— Madame ne m’a rien demandé, rétorqua la domestique en se redressant, un brin insolente.
Emmélie l’avait semoncé sévèrement.
— Prête-la-moi quelques jours et je te jure que je la ferai travailler, cette paresseuse! avait alors proposé Emmélie à Marguerite.
— Le docteur n’acceptera jamais. Il l’aime comme sa fille. Et puis, je me débrouille très bien toute seule.
— C’est tout de même une servante et elle doit t’obéir.
Tu devrais dire { ton mari que Charlotte n’est qu’une bonne à rien.
— Il a dû le découvrir depuis longtemps ! Je ne sais pas comment lui parler.
Désemparée, Marguerite avait même demandé conseil à sa nouvelle amie, Rosalie Papineau, à qui elle écrivait régulièrement. Je me sens incapable de tenir ma maison. La nourriture de Charlotte est insipide et elle m'interdit l'accès aux fourneaux. Comment me faire obéir? La demoiselle Papineau était pleine de bon sens. Je comprends bien ce problème de domestique, nous avons une cousine qui est un peu comme vous, trop aimable et peu habituée à se faire servir, avait répondu Rosalie. Mais là n'est pas la question. Ma chère, vous n'avez aucune raison de douter de vous, vous êtes l'aînée d'une ribambelle
d'enfants. Quelle mauvaise foi de la part de votre servante ! Vous n'avez qu'à exiger de vous faire obéir, insistait Rosalie. Soyez inflexible, ma chère. Votre servante vous obéira, sinon, eh bien, il vous faudra la renvoyer pour en engager une nouvelle que vous ferez à votre main.
Rosalie proposait la même solution qu’Emmélie !
En réalité, devant une femme plus âgée qu’elle, Marguerite abdiquait, incapable de donner des ordres. Et puis, elle n’avait pas le cœur de dénoncer sa servante. Elle trouvait { Charlotte l’air triste. «Elle n’a plus de mère, se disait la jeune femme pour l’excuser. Personne ne lui a appris comment faire les choses. » Marguerite avait décidé d’attendre après la naissance de l’enfant pour essayer de conquérir les bonnes grâces de sa servante.
Pendant ce temps, le docteur Talham continuait d’avaler les plats fades préparés par la servante, s’étonnant du peu de changement dans son ordinaire. Il gardait pourtant le souvenir d’une cuisine savoureuse les quelques fois qu’il avait partagé un repas chez les Lareau. C’était le fait de Marguerite, prétendait la famille. Le docteur commençait
{ croire qu’on lui avait fait
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