Marguerite
avaler des fables. Mais comme il ne voulait pas peiner sa jeune femme, il gardait ses remarques et Charlotte triomphait.
Préoccupé par le surcroît de travail causé par une épidémie de diarrhée dans la paroisse et l’accouchement qui approchait, le docteur ne voyait rien des problèmes domestiques qui empoisonnaient l’atmosphère de sa maison.
*****
Emmélie avait soif et se dit que Marguerite aussi devait être déshydratée. Elle laissa son ouvrage de côté pour aller chercher à boire.
— Je vais te faire chercher un verre d’eau fraîche du puits et je demande à Charlotte de préparer du thé. J’ai apporté des petits gâteaux de notre cuisine.
Elle partit à la recherche de la servante qui avait disparu et finit par la trouver dans sa petite chambre { l’étage, étendue de tout son long sur la paillasse d’un lit { quenouilles. La servante se releva précipitamment devant une Emmélie mécontente, le regard sévère, les deux mains posées sur les hanches.
— Que faites-vous là, Charlotte ? Vous êtes épuisée ?
— C’est cette chaleur écrasante, mademoiselle Boileau.
— Oui, nous avons toutes très chaud. Y a-t-il des citrons confits dans la maison ?
— Euh, non, mademoiselle.
— Pourtant, je vous avais bien demandé d’en acheter chez le marchand général, l’autre jour, ce me semble ?
— Mais c’est qu’il n’y en avait pas.
— J’en ai moi-même acheté pas plus tard qu’hier et le marchand m’a assuré qu’il en tenait toujours, { cette période de l’année.
— Je vous jure, mademoiselle. Ce marchand ment comme un arracheur de dents !
— Très bien, nous verrons cela un autre jour. Vous avez de jolis meubles, remarqua la jeune fille, étonnée de voir une très belle commode en érable, un charmant petit miroir et même une pendule de cuivre dans une chambre de servante.
— C’est { moi, se défendit Charlotte, offusquée. C’est l’héritage que m’a laissé madame Appoline.
— Votre première maîtresse a été très généreuse, constata Emmélie, mais ce n’est pas une raison pour négliger votre nouvelle maîtresse. Apportez-nous de l’eau fraîche du puits avec des verres propres, ordonna-t-elle.
Charlotte fit une petite révérence maladroite et quitta la pièce en vitesse.
Lorsqu’Emmélie retrouva Marguerite, celle-ci somno-lait, allongée sur le sofa, son ouvrage lui tombant des mains.
On entendait le tonnerre gronder dans le lointain. Charlotte entra dans la pièce avec un pichet rempli d’eau fraîche et deux gobelets de faïence.
— Merci, Charlotte. Maintenant, voyons les linges que je vous ai demandé de préparer pour la délivrance de madame.
— Je n’ai rien trouvé qui fasse l’affaire, mademoiselle, avoua Charlotte, penaude.
— Voyez-vous
ça,
fit
Emmélie.
Montrez-moi
les
armoires à linge.
Charlotte la conduisit { l’étage. En ouvrant les portes d’un meuble poussiéreux, Emmélie observa attentivement la servante du docteur. La coiffe était assez propre, mais le tablier n’était plus blanc depuis longtemps et cachait une robe crasseuse au col d’une saleté repoussante. Les mains étaient { l’avenant, avec des ongles noirs et mal taillés. Une odeur forte de pieds l’écœura. Comment Marguerite, toujours soigneuse, lavant régulièrement sa belle chevelure et tenant ses hardes propres, pouvait tolérer que sa maison soit aussi mal tenue ? Elle examina l’armoire { linge. Il ne restait presque plus d’essuie-mains ni de serviettes propres.
Elle compta une nappe, mais pas un seul drap. Elle eut un soupir d’exaspération. «Il règne ici un laisser-aller en dépit du bon sens ! »
— Où est le linge ? demanda-t-elle.
— Tout est dû pour la prochaine lessive.
— La prochaine lessive ? Et quand avez-vous fait la grande lessive pour la dernière fois? demanda Emmélie, soupçonneuse.
— Eh bien, l’été passé.
— L’été passé? Voulez-vous dire l’année dernière?
La mine basse, elle répondit par un léger hochement de tête de bas en haut devant une Emmélie hors d’elle. Qu’avait donc fait Charlotte pendant l’été? Emmélie ne comprenait pas plus sa cousine qui refusait de faire tenir sa maison correctement. Qu’avait-elle à craindre de cette misérable ?
Toute maison digne de ce nom possédait une lingerie imposante qu’on lessivait une fois ou deux par année. Chez les Boileau, une soixantaine de paires de draps bien repassés étaient rangés dans les
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