Marguerite
immédiatement
{ l’engouement que son mari avait pour cet enfant qui était son petit-fils.
Et voilà que surgissait un enfant bâtard ! Les problèmes s’accumulaient. Devait-elle exiger des explications de son fils? Connaissait-il la vérité, seulement? Pour l’instant, elle préféra garder pour elle ce qu’elle venait d’apprendre.
L’enfant était encore jeune. Tant qu’il n’avait pas quatre ou cinq ans, on pouvait encore espérer qu’il n’atteindrait peut-
être jamais l’âge adulte. Tiens, ça, c’était une idée ! Si l’occasion se présentait, elle pouvait s’arranger pour mettre l’enfant en contact avec une maladie mortelle, la rougeole, par exemple, ou la variole. Enfin ! Il serait toujours temps de s’en occuper, si un jour il menaçait la quiétude de la famille.
En attendant, elle veillerait au grain et, surtout, ferait tout pour éloigner son mari des Talham et des Boileau.
Si un jour Melchior de Rouville découvrait la vérité, Dieu seul savait ce qu’il en ferait. Son propre fils le décevait, il serait peut-être tenté de faire reconnaître l’enfant naturel.
Cela s’était déj{ vu.
Madame de Rouville espéra être la seule { s’être aperçue de la ressemblance. Bien des gens n’étaient pas nécessairement physionomistes.
Julie n’avait sans doute rien remarqué, subjuguée par le notaire qu’elle ne quittait pas des yeux. Ce notaire de campagne ne pensait quand même pas épouser une fille de la noblesse, { l’exemple de son père? Les prétentions des bourgeois d’aujourd’hui étaient sans bornes. On pouvait s’attendre { tout d’un Boileau. Voil{ où menaient les consé-
quences d’une déplorable mésalliance, songea entre autres choses Marie-Anne de Rouville. Il était temps de chercher rapidement un mari pour Julie.
*****
Madame de Rouville se trompait en pensant qu’elle avait été la seule à entendre la remarque de messire Robitaille.
Le docteur Alexandre Talham venait d’apercevoir enfin son épouse et s’empressait d’aller la retrouver lorsqu’il surprit une bribe de conversation. Le commentaire du curé Robitaille lui arracha un sourire amusé. C’était bien naturel qu’on prête { Marguerite un homme jeune pour mari. Il la contempla en se répétant à quel point il avait eu de la chance, à quel point son mariage était un cadeau du ciel.
Avec sa première femme, Appoline, jolie brune, si vive et intelligente, il avait éprouvé cette passion que la jeunesse prête
{ l’amour. Le destin s’était chargé de lui arracher brutalement son épouse. Mais les sentiments qu’il avait pour Marguerite étaient différents. Il la chérissait profondément et souhaitait la protéger éternellement de tout mal pernicieux, elle et ses enfants. Cet amour inébranlable lui avait même redonné la foi en Dieu, cette confiance en la divine providence qu’il avait perdue { la mort d’Appoline.
Il s’approchait de Marguerite quand une joyeuse famille de chardonnerets surgit d’entre les branches du grand hêtre qui ombrageait les abords de l’église avant qu’elle ne soit brûlée pour s’envoler dans le bleu d’un ciel serein. Puis, Marguerite l’aperçut et lui sourit, soulagée qu’il fût enfin l{.
Rien, se dit encore Alexandre avec toute la force de son amour, rien ne pourrait troubler son bonheur.
Chapitre 20
Bouleversements
La chambre exhalait l’odeur aigre de la mort et des miasmes putrides qui imbibaient les draps et la paillasse de la morte.
— C’est fini, fit simplement le curé Bédard au docteur Talham qui lui avait servi d’aide pour administrer la mourante.
D’un geste de la main, il ferma doucement les yeux de la vieille Pélagie, la veuve du cultivateur Vincelette, dernière victime à succomber aux fièvres épidémiques qui décimaient les paroisses de la rivière Chambly depuis Noël. La maladie avait atteint le bas de la paroisse Saint-Joseph en janvier, tuant systématiquement faibles vieillards et jeunes enfants.
Janvier 1810 se révélait meurtrier. D’un jour { l’autre, craignait le curé, l’épidémie gagnerait le village de Chambly.
Le temps maussade qui sévissait depuis des semaines contribuait à répandre les miasmes mortels. Gel et pluies glacées se succédaient. Par trois fois, la glace sur le bassin avait été emportée par des pluies diluviennes, empêchant la formation de l’habituel pont gelé qui permettait de passer de l’autre côté, à Pointe-Olivier. Au
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