Marguerite
formant une haie humaine qui menait jusqu’au dais d’une estrade d’honneur construite exprès pour l’événement, devant le beffroi improvisé.
Nobles et notables de l’endroit y attendaient fébrilement le grand moment, autour de la baronne, des Rouville et des Niverville et des messieurs Bresse et Boileau, les souscrip-teurs principaux.
— Mon cher monsieur de Rouville, tout est-il prêt ?
s’informa la baronne.
— Tout est prêt, madame !
Les messieurs de Niverville et de Rouville jubilaient.
L’arrivée de la cloche, la présence de son auguste invitée, tout ce décorum contribuait à redorer les blasons défraîchis de la paroisse. A titre de marraine, c’était la baronne qui régalait les villageois et la cuisine du manoir de Rouville avait été mise { contribution pour cuire pâtés et rôts qu’on servirait après la cérémonie, accompagnés de rafraîchissements. Il y avait même un baril de rhum que messire Bédard avait contemplé d’un œil désapprobateur.
— Comme s’il n’y avait pas suffisamment de cantines aux alentours, avait-il maugréé.
Monsieur de Rouville ne l’avait pas laissé grogner longtemps, lui assénant une vigoureuse tape sur l’épaule.
— Par Jupiter, Bédard, c’est une trop belle journée pour rouspéter.
Enfin, la cloche fut baptisée et bénite. On la nomma Marie-Anne et le curé Jean-Baptiste Bédard fut le compère de la marraine.
Avant que la foule ne se disperse, messire Robitaille s’adressa { la population avec sa voix de stentor.
— Gens de Chambly, fit-il avec un regard en coin vers le notaire Boileau qui l’avait houspillé, j’ai pour vous les meilleures nouvelles. Sachez que j’ai appris ce matin, par le curé de Boucherville, messire Conefroy, que votre église sera reconstruite { la même place que l’ancienne.
Les derniers mots se perdirent dans le brouhaha fracas-sant des applaudissements. «Vive le curé Robitaille! Vive le curé Bédard ! » criait-on de toutes parts tandis que le curé de Chambly ne cachait pas ses larmes de joie. Le chevalier de Niverville réclama { ses sœurs des sels tant il était ému.
— Mes enfants ! Mes enfants ! Récitons un Pater pour remercier Dieu de cette excellente nouvelle. Et qu’il bénisse le messager !
A ces paroles, la baronne s’agenouilla. Monsieur Boileau, en gentleman, s’empressa de retirer sa veste afin de protéger la toilette de la noble dame de la poussière, geste que tous les messieurs imitèrent, ce qui donna un drôle de ballet fait d’enchaînements de vestes enlevées et de courbettes pour que toutes les dames s’agenouillent proprement, { l’exemple de la baronne. Les habitants s’exécutèrent avec moins de manières, les hommes retirant leur chapeau. Comme c’était beau de voir cette foule recueillie sous le soleil ardent ! Bien vite, la prière se conclut sur un amen et le baril de rhum fut assailli par les hommes, et même par plusieurs femmes qui, elles aussi, savaient lever le coude.
*****
La cérémonie de la bénédiction terminée, Marguerite chercha Charlotte dans la foule tout en tenant fermement la main de Melchior. Ni Charlotte ni elle n’avaient voulu manquer l’événement et elles se partageaient la tâche de surveiller à tour de rôle les deux enfants.
La servante s’était probablement installée { l’écart, dans un endroit ombragé où elle pouvait s’asseoir, { moins qu’elle ne soit retournée à la maison. Elle avait insisté pour porter Eugène, mais à huit mois, le petit commençait à être lourd au bras. Marguerite tendit l’oreille. C’était bientôt l’heure où son fils, affamé, réclamerait son dû.
— Regarde, s’exclama Melchior { sa mère en désignant l’estrade toujours recouverte de son dais vert, c’est mon parrain. Allons-y, fit-il en entraînant Marguerite vers monsieur de Rouville. Et mes tantes Emmélie et Sophie sont là aussi ! Hou hou ! criait-il pour attirer l’attention des jeunes filles.
Melchior lâcha la main de sa mère et s’échappa vers l’estrade.
— Melchior ! fit celle-ci d’un ton sévère.
— Je suis ici, maman, cria de loin l’enfant en agitant la main.
Il avait déj{ grimpé sur l’estrade et tirait les jupes d’Emmélie qui se pencha vers lui. Elle se releva pour chercher Marguerite dans la foule et lui fit signe de venir.
Celle-ci se dirigea à son tour vers la plate-forme d’honneur, ignorant qu’elle était suivie d’Ovide de Rouville qui venait
Weitere Kostenlose Bücher