Marguerite
sotte s’y est rendue. Inutile d’ajouter que l’engagé s’est enfui avant que je ne le congédie avec ma cravache.
La rage durcissait le visage pourtant affable de Bresse.
Sa belle-sœur venait de plonger sa famille dans un drame dont il ignorait l’issue. Le négociant fit une longue pause, puis reprit courageusement le fil de son récit.
— Au souper, Clémence, invoqua un malaise, un de ces maux qu’ont souvent les femmes, pour expliquer l’absence d’Agathe au repas. Françoise ne s’est pas inquiétée immé-
diatement, Clémence lui ayant affirmé qu’elle venait { peine de voir sa sœur pour s’informer d’un quelconque besoin de nourriture ou autre. Cette dernière prétendait vouloir garder le lit jusqu’au lendemain. Nous l’avons crue, naturellement. Rien ne semblait indiquer qu’il se passait quelque chose d’anormal. En y repensant bien, Clémence était particulièrement nerveuse au repas, mangeant du bout des lèvres. Mais cette fille est si timide qu’elle a parfois des comportements bizarres.
— Et ensuite, que s’est-il passé ?
— Après le souper, Françoise, toujours soucieuse du bien-être de sa sœur, a frappé { la porte de la chambre des filles. Comme elle n’obtenait pas de réponse, elle a ouvert pour découvrir Clémence en larmes, effondrée sur le lit des filles, et la place d’Agathe, vide. De mon cabinet de travail, j’ai entendu des hauts cris. J’accourus pour voir ce qui se passait.
Imaginez
ma
stupéfaction
lorsque
j’ai
découvert
Françoise, frappée d’une attaque de nerfs et Clémence, la complice, qui pleurait en déchirant son linge. J’ai hurlé {
Perrine d’apporter les sels de sa maîtresse.
Ces dernières paroles prononcées, Bresse fut incapable de continuer. Monsieur Boileau, qui connaissait toute l’histoire, reprit le récit.
— J’étais chez Bresse. Nous avions rendez-vous dans la soirée pour discuter de l’achat d’une terre commune. Nous avions un projet, enfin. . je vous passe les détails. J’attendais Bresse lorsqu’on aurait dit que quelqu’un cherchait {
assassiner les habitants de la maison tant il y avait du tumulte. Alerté, j’enfilai rapidement les marches quatre par quatre pour découvrir ce que Bresse vous raconte, lui-même agenouillé près de sa femme à lui faire respirer les sels, pendant que la domestique était hors d’elle.
— Je confiai ma femme { Perrine, poursuivit Bresse d’une voix blanche. Puis, j’ordonnai { Clémence de tout révéler.
Ma pauvre femme ! Quelle terrible épreuve pour elle. Elle est maintenant alitée, souffrant terriblement de ses nerfs !
— Mais je ne comprends rien { votre récit d’enlèvement et de lieutenant, fit Talham qui grattait une barbe vieille d’un jour en dénouant sa cravate. Qui donc est ce Me Ghie ?
— Un lieutenant d’artillerie en garnison au fort depuis un an environ, expliqua Boileau. Beau garçon, selon la gent féminine. Ce libertin l’a enlevée et conduite au fort, avec la complicité de l’engagé et de la sœur, Clémence, qui, en remettant le billet du lieutenant à Agathe, a tout déclenché.
— Vous voulez dire que votre belle-sœur est actuellement au fort en compagnie d’un officier de l’armée britannique ?
Le docteur suffoqua. L’outrecuidance de certains militaires dépassait les bornes.
— Mon Dieu ! Mon Dieu ! gémit le curé. Il eut mieux valu pour sa famille qu’elle fut morte !
— Euh ! fit Talham en se redressant pour ajouter une bûche au feu qui menaçait de s’éteindre, vous n’exagérez pas un peu ?
— Mais vous rendez-vous compte, Talham ? La réputation de la jeune fille est à jamais compromise ! Plus personne ne voudra d’Agathe pour l’épouser, pas plus que de la jeune Clémence, d’ailleurs. C’est terrible !
Le docteur soupira. Il avait déjà vécu cette scène. Il repensa { une conversation similaire qui s’était déroulée dans ce même cabinet, sept ans auparavant. Autrefois, c’était la réputation d’une jeune paysanne qu’il fallait sauver parce qu’elle était la cousine de Boileau. Aujourd’hui, il s’agissait d’une jeune fille de bonne famille - encore plus jeune que Marguerite, { l’époque où on l’avait poussée dans ses bras - dont il fallait sauver la réputation et toujours ce sacro-saint honneur de la famille et la sauvegarde de la moralité publique.
— Nous connaissons tous la seule issue possible : le mariage.
Mais à cette proposition,
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